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Poésie de la désillusion

Dans La jolie Madame Seidenman, Andrzej Szczypiorski (1928-2000) croise destins tragiques et situations iniques en un vrai carrousel littéraire.

5 août 2023 à 04:01

Andrzej Szczypiorski » L’écrivain polonais met en scène les drames qui ont secoué son pays dans un époustouflant roman sorti en 1988, réédité dans une traduction révisée.

Dans la Pologne de 1943 où elle vit grâce à ses faux papiers de veuve catholique d’un officier polonais, la «jolie Madame Seidenman» (qui donne son titre français au roman d’Andrzej Szczypiorski) devra son salut à une chaîne de bonnes volontés. Cette blonde délicate aux yeux bleus, mariée à un médecin juif décédé avant la guerre, traverse – comme les autres personnages du livre – quatre décennies d’histoire de ce pays dont elle illustre les souffrances et les idéaux dévoyés.

C’est la dénonciation d’un coreligionnaire qui vaut à Irma Seidenman d’être arrêtée par la Gestapo à Varsovie en 1943. Elle s’accroche obstinément à son nom polonais: Maria Magdalena Gostomska. Si elle semble refouler son identité juive, c’est non seulement parce qu’elle fait partie des Juifs assimilés mais parce qu’elle incarne les fluctuations aussi identitaires d’une nation écartelée entre Prusse, Autriche-Hongrie, Russie, avant son indépendance balayée par l’invasion allemande.

Héros et salauds

L’auteur né en 1928, fier d’appartenir à une Pologne libre mais honteux de l’antisémitisme de ses compatriotes, a pris part au soulèvement de Varsovie. Déporté au camp de Sachsenhausen (près de Berlin) il en revient en 1945 pour achever ses études et participer à la vie culturelle de son pays dirigé par un gouvernement communiste à la botte de Moscou. Nouvelles désillusions, résurgence de l’antisémitisme lors des purges communistes de 1968, répressions brutales de toute contestation, jusqu’à la loi martiale de 1981 qui permet au régime en place d’emprisonner ses détracteurs, dont fait partie Szczypiorski.

L’auteur maîtrise à la perfection l’art du monologue intérieur qui éclaire l’intimité des êtres

Plus qu’une fresque historique sur quatre décennies (malgré l’exactitude des faits cités, à en croire Gérard Conio, traducteur hors pair et postfacier), c’est un roman polyphonique sur les choix moraux et la complexité de l’âme humaine qu’a écrit Szczypiorski. La jolie Madame Seidenman dépeint l’impossibilité de se définir par soi-même et l’assignation d’un être à son milieu ou à sa religion. Szczypiorski suggère la richesse et la multiplicité des identités autant que l’ambiguïté des positions politiques ou éthiques grâce à une douzaine de personnages qui gravitent autour de la belle veuve.

Au fil des 21 chapitres du livre apparaissent ainsi Blutman, le délateur frustré, Adam Korda, helléniste timide en pantalons golf qui donne l’alarme après l’arrestation de sa voisine, Wiktor Suchowiak, l’ex-bandit devenu passeur pour les Juifs du ghetto, ou encore Müller, l’Allemand de Pologne qui risque gros en allant à la Gestapo clamer l’erreur d’identité dont est victime son «amie Maria» (qu’il n’a jamais rencontrée). Certains de ces personnages ressemblent à l’auteur, tel le jeune Pawelek Krynski, amoureux de Madame Seidenman. Quant au cheminot socialiste Filipeck, il incarne les espoirs déçus de l’auteur: «C’était sans doute le dernier homme de ce monde-là (…) la victime des farces terribles de l’histoire, ou peut-être d’une anecdote piquante racontée au monde par Dieu et qui s’appelait la Pologne.»

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