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Portrait. Aller-retour entre la traduction et la contrebasse

Le Fribourgeois Lionel Felchlin est actif sur deux fronts, la traduction littéraire et la musique d’orchestre. Il sera présent au festival Aller-Retour, qui se tient à Fribourg le 9 mars prochain.

Il va et vient de l’allemand au français, comme Fribourg, la ville où il vit: Lionel Felchlin. © Charly Rappo

1 mars 2024 à 02:15

Il mène deux carrières, plus complémentaires que de front: Lionel Felchlin est traducteur et contrebassiste. Le Fribourgeois passe de la littérature à la musique en interprète. Au moment de choisir sa voie, il en a pris deux en parallèle: il a obtenu un diplôme de concert au Conservatoire de Neuchâtel et, après des études de lettres, a enchaîné avec l’Ecole de traduction et d’interprétation de Genève.

Aujourd’hui le quadragénaire est contrebassiste de l’Orchestre de chambre fribourgeois et transmet en français les textes de grands auteurs alémaniques: c’est à ce titre qu’il est invité samedi prochain au festival de traduction littéraire Aller-Retour, qui aura lieu dans sa ville, à Fribourg.

Aller-retour: il ne faut pas croire que concilier la musique et la traduction est évident, aussi bien pour lui que pour sa famille. Lionel Felchlin évoque «l’équilibre» sans cesse à redéfinir, pour ne pas dire «précaire», quand il faut par exemple tenir des délais serrés: il vient de remettre aux Editions Zoé son manuscrit de Henri Le Vert, roman majeur de Gottfried Keller, près de 900 pages qui lui ont coûté plus de deux ans de travail – la sortie est prévue en novembre.

Ne pas s’imaginer non plus que la traduction littéraire est arrivée d’emblée dans son parcours. Mais «de fil en aiguille», raconte-t-il. Aujourd’hui encore, il continue d’accepter en tant qu’indépendant des mandats de traduction dite spécialisée, «pragmatique», sourit-il. Un travail destiné à l’Administration fédérale et largement invisible, sauf quand il s’agit de traduire des discours de présidents de la Confédération.

Sauver un chêne

Après Genève, il saisit l’opportunité de compléter sa formation au Centre de traduction littéraire de l’Université de Lausanne. Nous sommes en 2011. «C’est là que les rencontres se sont faites, petit à petit», raconte-t-il. Il doit choisir une œuvre inédite et découvre La légion étrangère de Friedrich Glauser. Il bénéficie alors du mentorat d’une traductrice confirmée, Marion Graf, qui lui conseille d’envoyer ses épreuves à l’éditrice des Editions Zoé. Son nom désormais s’affiche en couverture.

Dans la foulée, Marlyse Pietri lui confie ses premiers textes de Peter von Matt, La poste du Gothard ou les états d’âme d’une nation et Don Quichotte chevauche par-delà les frontières. Aux journées littéraires de Soleure il rencontre l’éditeur des Editions d’En Bas, Jean Richard, avec qui il entame également une collaboration.

«J’ai la chance de n’avoir traduit que des auteurs qui me parlent, avec qui j’ai des affinités», apprécie Lionel Felchlin. En traduisant von Matt, qui évoque l’industrialisation de la Suisse et qui cite Gottfried Keller, il s’intéresse à cet auteur suisse devenu un «classique» du XIXe siècle. Et creuse le filon.

Zoé lui fait confiance pour Les Gens de Seldwyla, recueil sur lequel il travaille pendant qu’il pendule vers Paris et un perfectionnement en traduction littéraire. Ce cycle de nouvelles n’avait jamais été traduit intégralement en français et une publication faisait sens, d’autant que Keller se situe aux prémisses d’une pensée écologique: dans la dernière nouvelle, «les gens» se battent pour sauver un chêne. «C’était l’époque, précise Lionel Felchlin, où l’on abattait des forêts de chênes pour construire les voies de chemin de fer.»

«Ce qui m’anime, c’est de jouer pour les autres, de transmettre ma passion à un public»
Lionel Felchlin

Aller-retour: dans le domaine de la traduction, on parle précisément de langue de départ et de langue d’arrivée. La «musique de l’allemand» vient à l’oreille du traducteur grâce à son père, zurichois. A sa mère, française, reviennent les nuances du français. Tous les grands écrivains suisses dont il est le passeur ont un lien avec Zurich, parce qu’ils y vivent ou y travaillent, remarque Lionel Felchlin: Gottfried Keller, Friedrich Glauser, aussi bien que les auteurs vivants, Peter von Matt, Reto Hänny, Gertrud Leutenegger et Lukas Bärfuss. C’est précisément le dernier livre paru en français de Lukas Bärfuss, Le carton de mon père – le troisième qu’il traduit aux Editions Zoé après Koala et Hagard – qui réunira l’auteur et son traducteur lors d’une table ronde du festival.

Le «catse»

Bien sûr, entre l’allemand du XIXe et celui d’aujourd’hui, les enjeux de traduction sont différents: «Je ne saurais pas traduire Keller comme on l’a fait il y a cent ans. Le défi est de conserver la langue tout en la rafraîchissant, en trouvant une fluidité et en évitant les mots vieillis. Quand la langue de départ n’est pas simple, le défi est de la mettre au goût du jour sans la dénaturer.»

Mais toujours, il a le souci de la transmission. D’ailleurs, quand on lui demande si les festivals, les lectures publiques ou les rencontres dans des classes d’étudiants sont une manière de conjurer l’endurance ascétique du traducteur, Lionel Felchlin corrige: «Ce qui m’anime, dans la musique, c’est de jouer pour les autres, transmettre ma passion à un public. C’est pareil pour la traduction! Et puis le contact avec les auteurs, c’est aussi des moments passionnants.» Timide, peut-être – il assume lui-même le qualificatif –, mais solitaire, non.

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