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Récit. Mauvais trip en Ouganda

Dans Rock Me Amin, un livre déjanté, le rocker Jean-Yves Labat de Rossi raconte sa rencontre improbable avec Idi Amin Dada, dictateur ougandais craint de tous.

Cette aventure, qui démarre telle une farce rock’n’roll avant de tourner au cauchemar carcéral, vaut son pesant d’émotions fortes. © Keystone

1 mars 2024 à 02:05

«J’ai du mal à soutenir le regard du maréchal qui m’atomise du haut de son mètre quatre-vingt-dix-huit… Ce colosse dégage dans la réalité une bestialité impressionnante…» L’air est irrespirable à Kampala en cette fin d’été 1977. Face à Idi Amin Dada, l’un des dictateurs les plus redoutés de la planète, Jean-Yves Labat de Rossi se demande une fois encore ce qu’il fait là. Et soudain sa mémoire se remet à fonctionner et le ramène quelques mois plus tôt, au moment où le musicien que tout le monde appelle Mister Frog tente de tabasser son producteur. Jamais en effet Albert Grossman, le producteur en question, ne lui pardonnera son accès d’humeur.

Dans le milieu du rock et de la pop, Grossman est une légende redoutée qui a accompagné des stars telles que Bob Dylan et Janis Joplin. En se querellant avec «Fat Albert», Jean-Yves, un Auvergnat exilé aux Etats-Unis depuis la fin des sixties, devient un paria. On lui donne deux jours pour quitter Woodstock, une bourgade cossue qui a donné son nom au fameux festival organisé à plusieurs dizaines de kilomètres de là, dans une prairie de Bethel. Si Frog tarde à décamper, Grossman promet de faire venir la mafia juive de Chicago pour l’aider à faire ses bagages.

Tout ça semble trop facile

Heureusement pour lui, le Français s’est lié d’amitié avec le capo d’une famille new-yorkaise. Serviable, ce dernier débarque et intime au producteur de faire la paix avec son protégé. Grossman accepte. En revanche, parole d’homme, Frog ne pourra jamais plus travailler sur le sol américain. Frog traverse alors la frontière et rencontre à Montréal un «faiseur de tubes» au service du label Polydor. Après avoir absorbé diverses substances prohibées, l’individu propose à son visiteur l’affaire du siècle: partir pour l’Ouganda afin d’enregistrer une version pop électronique de Little Drummer Boy (L’Enfant au tambour) sur laquelle le maréchal Idi Amin Dada jouera de l’accordéon. La réputation du tyran n’étant plus à faire, Frog hésite mais la somme qu’on lui promet (plus de 250 000 dollars) le pousse à accepter.

L’accueil est glacial. A l’hôtel, on lui confisque son passeport pour la durée de son séjour!

Fin juillet 1977, un synthétiseur nouvelle génération en bandoulière, Jean-Yves «Frog» Labat de Rossi débarque dans la fournaise de l’aéroport d’Entebbe, situé à 35 kilomètres de la capitale ougandaise Kampala. L’accueil est glacial. A l’hôtel, on lui confisque son passeport pour la durée de son séjour! Un instant démoralisé, le musicien s’imbibe sérieusement puis décide de jouer les touristes. Rapidement, il sympathise avec des membres du consulat français et divers aventuriers aux motivations peu claires. Sans plan précis, il s’abandonne au bon vouloir de Dame Chance, laquelle lui sourit.

Un matin, après une intrusion à la manière d’OSS 117 version Dujardin, il s’introduit dans le palais présidentiel et se retrouve face au conseiller d’Amin Dada, un ex-officier écossais amateur de tortures que le pays tout entier surnomme en tremblant «le Rat blanc». Après quelques verres de whisky, le redoutable rongeur valide le projet et accepte de présenter Frog à «Son Excellence». Même si le dictateur ne lui adresse pas la parole, un accord pour l’enregistrement est conclu. Tout ça semble facile, trop facile…

Dans Rock Me Amin, Jean-Yves Labat de Rossi, figure culte de la musique seventies, connu surtout pour sa collaboration avec la star Todd Rundgren, raconte cette étrange odyssée africaine avec la désinvolture d’un écrivain spécialisé dans les récits d’espionnage bon marché. Sauf que cette histoire, jamais médiatisée jusque-là, est absolument authentique. Même si l’auteur n’est pas vraiment un styliste (cependant sa plume prend parfois de la hauteur), cette aventure, qui démarre telle une farce rock’n’roll totalement déjantée avant de tourner au cauchemar carcéral, vaut son pesant d’émotions fortes. Et d’instants lunaires… Un véritable mauvais trip à la morale évidente: même s’il rigole en jouant de l’accordéon, le diable reste plus dangereux qu’un troupeau d’éléphants roses.

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