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Traduction. L’esprit ouvert selon Yael Inokai

Attendue au Salon du livre de Genève début mars, la Bâloise signe un roman à la fois nerveux et sensible autour d’une singulière opération chirurgicale.

Une simple intervention est le troisième roman de cette écrivaine née en 1989 à Bâle, établie à Berlin. © Ladina Bischof

23 février 2024 à 15:25

Meret est infirmière dans un grand hôpital où se pratique un acte chirurgical radical et inédit qui guérit certaines souffrances psychiques. Une simple intervention qui donne son titre au roman de la Bâloise Yael Inokai, déjà remarquée en 2018 par l’un des prestigieux Prix suisses de littérature, traduite ici pour la première fois en français grâce à Camille Logoz.

Qu’est-ce qui rend si particulier ce livre plongeant dans l’univers médical? Pendant que le médecin opère, les patients doivent être éveillés. Le rôle de Meret, la narratrice, est de leur parler, de les occuper, de leur enlever leur peur pendant que le docteur neutralise certaines zones du cerveau. «Il y a quelque chose en vous, et je vais l’endormir. Ça ne vous dérangera plus. Ça dormira pour toujours. C’est aussi simple que ça», explique doctement le médecin avant l’opération.

Conformisme étouffant

Meret était heureuse d’avoir été choisie pour assister le docteur dans ce nouveau traitement prestigieux. Elle s’était habituée à la condescendance des vieilles infirmières, à la détresse des malades et à sa fatigue à la fin de son service. Elle était fière d’enfiler tous les jours son uniforme et de sentir la «toile blanche et rigide sur (sa) peau».

En concevant un traitement chirurgical qui rappelle les lobotomies pratiquées au milieu du XXe siècle, d’ailleurs principalement sur des femmes, Yael Inokai interroge l’approche thérapeutique contemporaine et la prescription de médicaments psychotropes. Sans tomber dans une dénonciation naïve de la psychiatrie clinique, son roman ouvre plutôt un espace de réflexion fécond et vertigineux sur l’éthique des traitements psychiatriques. En élargissant le propos aux questions des normes sociales, Inokai dénonce un conformisme étouffant incarné par le tout-puissant docteur.

Une tension qui nous tient en haleine jusqu’à la dernière page

Mais les certitudes de Meret sont ébranlées lorsqu’une opération ne se passe pas comme prévu. Sa vie aussi va changer avec la venue de Sarah, avec qui elle partage depuis peu sa chambre au foyer des infirmières. En s’ouvrant peu à peu à Meret et en lui confiant que la femme qu’elle avait aimée avant elle avait été soignée pour des troubles psychiques, Sarah contribue à faire douter Meret. L’intervention qu’elle pratique avec le docteur, est-elle vraiment bénéfique aux patients?

Sarah lui confie: «Je ne peux pas imputer (aux médecins) de mauvaises intentions. J’aimerais bien, ce serait plus simple. Je crois qu’ils ont vu quelque chose de malade et ont voulu le soigner. Et ils l’ont fait. Jusqu’à ce qu’il ne reste plus rien d’elle.»

Tournures insolites

Yael Inokai se garde bien de définir le fonctionnement de cette «simple intervention». De nombreux autres points sont également laissés dans l’ombre: à quelle époque l’intrigue se déroule-t-elle? Et dans quelle ville? Pour la traductrice Camille Logoz, l’aspect le plus intéressant de son travail était de «réussir à rendre cette incertitude propre au roman sans jamais livrer mon interprétation personnelle. Une simple intervention regorge de tournures insolites. Il faut parvenir à rendre cette étrangeté inhérente à l’écriture de Yael Inokai sans tomber dans un style trop expérimental.» Mission accomplie.

Au-delà de la thématique fascinante du roman, la psychiatrie, et de l’intrigue amoureuse incandescente qui se développe entre Meret et Sarah, c’est bien là, dans l’apparente étrangeté des tournures, dans les dissonances envoûtantes et dans le mystère qui enveloppe certains aspects du texte que se situe l’intérêt de l’ouvrage.

En laissant plusieurs questions ouvertes, Inokai octroie au livre une nervosité littéraire, une tension qui nous tient en haleine jusqu’à la dernière page. L’importance donnée à tout ce qui est lié à la sensibilité tactile et à la perception des sons et des odeurs contribue à la construction de cette écriture à fleur de peau.

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