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Littérature. «Les positions de Tesson sont post-politiques»

Promu prince des poètes avant d’être taxé de suppôt de l’extrême droite, l’écrivain-voyageur agite la République. Un psychodrame national hanté de spectres politiques. L’éclairage d’Alexandre Gefen, chercheur en littérature.

En décembre 2021, le baroudeur était venu à Fribourg célébrer les vertus poétiques de l’échappée. © Charly Rappo

1 février 2024 à 17:00

Temps de lecture : 1 min

Un réac en doudoune d’aventurier? Voilà qu’on s’écharpe autour du barde en crampons, héraut populaire d’un monde ensauvagé de fées et de panthères, contempteur du gris moderne où seules feulent les trottinettes électriques. Il restitue l’aventure au cœur d’une civilisation agonique, Sylvain Tesson, en proses de haute altitude poétique, en performances rhétoriques à guichets fermés. Sur la scène de Nuithonie il y a trois ans, on accompagnait son apologie de l’ailleurs avant une heure de dédicaces dont il était sorti les bras remplis de lettres et d’un biscôme en cœur. Cette semaine à Lausanne, Genève et Sion, adulation toujours aussi fiévreuse (à en croire nos confrères du Nouvelliste); il est écrivain aussi bien que symbole. Mais de quoi Tesson est-il le nom?

De l’extrême droite, répondent sans équivoque les 1200 signataires qui, dans une lettre ouverte publiée par Libération le 18 janvier, ont refusé sa nomination comme parrain du Printemps des poètes en France, lui qu’ils considèrent en «icône réactionnaire». Défense de la ministre de la Culture, démission de la directrice artistique, contre-pétition, tempête au sérail. Puis passage en revue des accointances ultraconservatrices, des ambiguïtés idéologiques et des frousses déclinistes que le baroudeur mal-pensant dissimule en sa gangue de lyrisme pleinairiste.

Eminemment français, ce débat, qui touche à la contradiction célinienne entre l’œuvre remarquable et l’homme détestable, semble pourtant déborder le périphérique idéologique pour révéler un malaise plus profond, politique. Où Tesson devient le nom d’une inquiétude, dont la progression du Rassemblement national en France et de l’extrême droite en Europe, est l’objet. Toute littérature, fût-elle endoudounée dans le poétique, n’est-elle d’ailleurs pas politique? L’éclairage d’Alexandre Gefen, directeur de recherche au CNRS et auteur de La littérature est une affaire politique.

A quand remontent ces liaisons dangereuses entre littérature et politique en France?

Alexandre Gefen: Elles sont anciennes, présentes déjà au début du XVIIIe siècle quand l’écrivain des Lumières s’engage contre l’Ancien Régime, très fortes dans un XIXe siècle qui conduira à une division de la France en deux camps à l’occasion de l’affaire Dreyfus, marquées encore dans un XXe siècle traversé par l’antifascisme et le communisme. Ce lien semblait s’être distendu après la guerre d’Algérie et l’essor d’une littérature post-moderne moins engagée, mais force est de constater que, depuis une bonne décennie, la politique revient au cœur de l’agenda littéraire.

Comment comprendre alors cette levée de boucliers contre Tesson, réactionnaire certes affiché mais politiquement indifférent?

Les positions de Tesson sont post-politiques, même si l’enquête de François Krug (Réactions françaises, 2023) a clairement montré ses affinités avec une frange politique très conservatrice. Sa littérature n’est pas militante, mais l’on ne peut qu’être marqué par sa nostalgie d’une posture aristocratique et solitaire très identifiée à droite. Ainsi, la vive réaction des intellectuels me semble caractéristique de l’hypersensibilité de l’opinion publique française, qui ne cesse depuis une trentaine d’années de faire face à l’extrême droite dans un contexte où la gauche semble avoir perdu cette bataille culturelle.

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