Le tournage fou d’Apocalypse Now raconté en BD

BD » «Ce film n’est pas un film sur la guerre du Vietnam. C’est la guerre du Vietnam. Notre situation était comparable à celle de l’armée américaine là-bas. Nous étions dans la jungle, nous étions trop nombreux, nous avions trop d’argent, trop de matériel et, petit à petit, nous sommes devenus fous.» La conférence donnée par Francis Ford Coppola durant l’édition 1979 du Festival de Cannes, où il était venu présenter Apocalypse Now, appartient à l’histoire du cinéma.

Sur le coup, beaucoup ont pensé que le réalisateur adulé depuis le triomphe des deux premiers volets de la saga du Parrain en rajoutait afin de faire comprendre à Françoise Sagan, présidente du jury hostile au film, qu’il en avait sacrément bavé avant d’arriver sur la Croisette. Au fil des ans, tout le monde a fini par comprendre qu’en fait l’artiste était resté modéré au moment d’évoquer le tournage de son film maudit.

En 1979, Florent Silloray était trop jeune pour mesurer l’impact de cet opéra guerrier psychédélique voué à la démesure de la première à la dernière image. Cet auteur dessinateur, qui enseigne désormais la bande dessinée à l’Université de La Rochelle, n’a découvert Apocalypse Now que bien plus tard grâce à une cassette VHS proposant, comble de l’horreur, une copie du film en version recadrée. Selon ses dires, il est ressorti de cette séance privée complètement k.-o., émerveillé aussi par le délirant spectacle auquel il venait d’assister.

Ce n’est qu’en 2001, à l’occasion de la ressortie du film dans sa version redux de trois heures et 40 minutes, qu’il a pu enfin apprécier l’œuvre dans toute la splendeur de l’écran large. Depuis, l’odyssée crépusculaire du Capitaine Willard, chargé par la CIA d’aller exécuter au fond de la jungle Kurtz, un colonel devenu complètement dingue, continue de l’obséder.

Au cœur de la nuit

«Petit à petit, nous sommes devenus fous»
Francis Ford Coppola

En 2019, à l’heure où Coppola, tenu à l’écart des grands studios en raison de sa mégalomanie, peu satisfait au final de sa version redux, remonte Apocalypse Now pour la troisième fois (un final cut de trois heures sortira cette année-là). Silloray décide à son tour de plonger dans la rivière qui serpente à travers la jungle afin de réveiller les fantômes, artistes illustres ou figurants tétanisés ayant permis au réalisateur d’imprimer ses visions folles sur pellicule. Il propose aujourd’hui le résultat de sa quête dans une bande dessinée au titre explicite: Un Tournage en enfer.

Contrairement à Don Coppola, un autre album récent qui retrace l’ensemble de la carrière du réalisateur, Un Tournage en enfer est entièrement dédié aux 427 jours (entre mars 1976 et mai 1977) passés dans la jungle par Saint Francis et ses disciples plongés dans un abîme de perplexité.

Silloray décide de plonger dans la rivière qui serpente à travers la jungle afin de réveiller les fantômes

Afin de nous permettre de visiter le théâtre des opérations en toute décontraction, Florent Silloray nous présente à Sarah Evans, attachée de production. Cette jeune femme de 26 ans, fraîchement diplômée d’une université californienne, a tous les droits, y compris celui d’observer Coppola jusqu’au cœur de la nuit, lorsqu’il martyrise sa machine à écrire en tentant de remanier un script qui ne comporte pas de fin.

Sarah bavarde avec Martin Sheen, qui joue Willard, échange des amabilités avec le légendaire directeur de la photo Vittorio Storaro et parvient même à s’approcher d’un Marlon Brando obèse engagé pour jouer Kurtz. Contrairement à toutes ces personnes, Sarah n’a jamais existé. Elle est le seul élément fictif d’une aventure cinématographique dont le moindre chapitre est appelé à entrer dans la légende.

Triomphe cher payé