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Le forgeron meurtrier de Gletterens fait son retour en littérature

Exhumant à la manière d'un Jacques Chessex une «sale histoire» oubliée, l'écrivain broyard Julien Sansonnens refait en littérature le procès d’un maréchal meurtrier, mais aussi de son époque.


10 novembre 2023 à 17:25

Roman. » Il y aurait en Suisse romande un sillon littéraire à retracer, presque un genre en soi: celui du drame rural lapidaire, qui irait d’Aline de Ramuz à Dans l’ombre de l’absente d’Olivier Pitteloud en passant par La Lune assassinée de Damien Murith… Lyrisme et violence mis en tension dans une haute poétique de la rusticité campagnarde. Une veine que prolonge, à sa manière chessexienne, Julien Sansonnens dans son cinquième roman, Agnus Dei.

Revenant sur les terres de l’arrière-pays broyard dont il est originaire, l’auteur exhume un fait divers du temps ancien, avant que «les trente glorieuses remodèlent le paysage dans le canton de Gonzague de Reynold et de la poire à Botzi». Fin des années trente, alors que les prémices de la guerre tonnent au loin, Marcel C., forgeron de Gletterens, se marie avec Jeanne-Sarah de Saint-Aubin. Honorable noce, dans cette communauté dure à la tâche qui cultive le tabac Burley et les loyautés claniques sous le regard du Ciel. «Autant que possible, on évite d’avoir affaire aux protestants, on se sent plus proches d’un Sédunois que d’un disciple de Calvin, on dit de ceux-là qu’ils paient avec du retard, trafiquent les pesées, blasphèment contre la Vierge.»

Puis vient la mobilisation générale, les adieux sur le quai de gare, la molle et mâle attente sous les drapeaux. Et au retour ce malaise: pourquoi sa légitime est-elle si distante, lasse et irritable? Frappant ses rougeoyants métaux comme une bête blessée, bientôt rongé par l’alcool, la folie et le désir de vengeance, le maréchal finira par découvrir à quel stupre se voue l’infidèle, qu’il punira au feu purificateur de sa forge. «Un homme trapu, à l’aspect inoffensif», écrit La Liberté en janvier 1948, à l’occasion de son procès qui le reconnaîtra coupable de «meurtre par passion».

Drame oublié que l’écrivain, renouant avec son écriture du mal après l’échappée houellebecquienne de Septembre éternel, rappelle à la mémoire collective ainsi que l’avait fait le scandaleux Chessex avec son Juif pour l’exemple. Dans une langue esthétisante qui excelle à dépeindre cette communauté confite dans la religiosité et l’entre-soi, entremêlant son lyrisme noir de Verbe évangélique et de patois broyâ, il donne langue à ce «on» collectif pour montrer comment, «au nom du peuple, l’ordre a été rétabli».

Bref et saisissant roman de conjuration certes, mais également, en éludant le point de vue féminin sur ce qu’on appellerait aujourd’hui féminicide, de tendancieuse réhabilitation adossée à la «pâteuse compassion» des paroissiens: «on n’est pas loin de penser que l’authentique victime de cette vieille affaire, ce serait plutôt lui». Procès d’un homme, et d’une époque.

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