Kristen Radtke publie un roman graphique sur la solitude contemporaine

Société » Revers de l’individualisme triomphant, point aveugle d’une hypermodernité tissée de réseaux, la solitude est un refuge en soi parfois salutaire, souvent douloureux. L’homme, dépeint par Aristote en animal social, peut-il réellement vivre sans appartenance? C’est l’interrogation où plonge, comme dans un abysse, Kristen Radtke au long de cet ouvrage imposant qui s’approprie magnifiquement les codes esthétiques du roman graphique pour articuler autobiographie cathartique, documentation scientifique et essai sociologique.

«J’étais envahie d’un sentiment de non-appartenance»
Kristen Radtke

Exemple emblématique d’une littérature contemporaine dont le «tournant documentaire» a orienté le regard vers les cases du neuvième art, Seek You a été encensé lors de sa sortie américaine en 2021, adoubé par le pape Chris Ware qui en a salué l’originalité formelle. Il nous arrive aujourd’hui en traduction française mais sa langue est universelle, faite d’une ligne claire au réalisme expressif, de cadrages picturaux et d’aplats sobres, au service d’une narration en fragments juxtaposant regard historique et introspection familiale.

Epidémie silencieuse

Son titre, Seek You, vient de ces appels «CQ» que le père de la narratrice, opérateur de radio amateur, lançait au hasard des fréquences dans l’attente d’une réponse, d’une présence. Quête de lien depuis ce Wisconsin rural dénué de toute trame communautaire: «Comme beaucoup d’enfants, j’étais envahie d’un sentiment fondamental de non-appartenance.» Puis c’est le déménagement à New York, où l’autre envahit l’espace vital sans que ne recule pour autant cette «épidémie silencieuse» de la solitude.