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Manga. Ken le Survivant revient 40 ans plus tard

Il a traumatisé la génération du Club Dorothée, Ken le Survivant revient 40 ans après sa naissance et il ne s’est toujours pas assagi.


29 septembre 2023 à 23:40

Manga » C’était la rentrée scolaire 1988, le 31 août très précisément. Une génération de gamins biberonnés au Club Dorothée allait se prendre une claque monumentale. Une tatane télévisuelle assénée par une série d’animation japonaise pour le moins dévastatrice nommée Ken le Survivant. Le héros, Kenshiro, est une sorte de Mad Max croisé avec Sylvester Stallone qui erre sur une Terre postapocalyptique dévastée. Il survit, comme son nom l’indique, en pratiquant un art martial ancestral d’une violence rare. Il lui suffit de toucher les points vitaux de ses adversaires – des grosses brutes cyberpunk tendance bikers du désert en général – et ces derniers implosent, répandant des gerbes de jus de groseille. Juste avant de mordre la poussière, les vilains entendent ces dernières paroles, prononcées avec détachement par Ken, non sans un certain panache: «Tu ne le sais pas encore, mais tu es déjà mort!»

Le dessinateur Tetsuo Hara atteint un niveau de précision époustouflant

En 2023, Ken le Survivant, ou plutôt de son vrai nom Hokuto no Ken (le poing de la Grande Ourse), fête donc les 40 ans de sa première publication dans l’hebdomadaire nippon Weekly Shonen Jump. Le manga scénarisé par Buronson et dessiné par Tetsuo Hara revient sous nos latitudes grâce à l’éditeur Crunchyroll qui propose une «édition extrême» de belle facture (lire ci-contre) et le phénomène Ken est disséqué dans un pavé fort recommandable Dans les arcanes de Hokuto no Ken, l’héritier de l’apocalypse aux Editions Third.

«Hokuto à pain»

Impossible de raconter l’histoire de Hokuto no Ken sans aborder la polémique qui a secoué la francophonie à la sortie de la série animée. La brutalité de ce monde postapocalyptique qui doit, de l’aveu de ses auteurs, autant à Mad Max 2 qu’à Blade Runner, a marqué les esprits. Au Japon, le programme était destiné à de jeunes adultes, mais en France il a été parachuté le mercredi après-midi quelque part entre les aventures de Candy ou des Mystérieuses cités d’or et des chansons de Corbier. Le choc. Pourtant bien édulcorée par rapport au manga (destiné aux adultes avertis), la série fait couler de l’encre. Notamment celle de Ségolène Royal qui, dans son ouvrage dénonçant la violence télévisuelle Le ras-le-bol des bébés zappeurs (1989) écrit, avec la pertinence d’une carpe koï hors de son étang: «Dans les dessins animés et les séries japonaises, tout le monde se tape dessus. Les bons, les méchants, et même ceux qui ne sont rien, les figurants de la mort. Le raffinement et la diversité des façons de tuer se sont accompagnés d’un appauvrissement des caractères, d’une uniformisation des héros, dont la seule personnalité se réduit à la quantité de cadavres alignés.»

De surcroît, les efforts des doubleurs français de Hokuto no Ken, emmenés par Philippe Ogouz (la voix de Dustin Hoffman et de Bruce Lee), pour rendre la série comique à grand renfort de jeux de mots douteux («Hokuto de cuisine», «Hokuto à pain», «Nanto de vison») ne vont rien faire pour redorer le blason de l’animation nippone. Une vision stéréotypée de la culture japonaise qui a perduré très longtemps en France mais qui a finalement dû capituler devant le succès populaire de mangas tels que Naruto ou One Piece, le triomphe mainstream des films de Hayao Miyazaki et face à la démocratisation et la globalisation des jeux vidéo.

Lecture politique

Pourtant, quand on l’examine de plus près, le manga de Tetsuo Hara et Buronson a bien plus à offrir que de la violence gratuite et de la castagne électrisante. Graphiquement, tout d’abord, Hokuto no Ken est une révolution. Le dessinateur Tetsuo Hara atteint un niveau de précision époustouflant. Ses partis pris radicaux vont influencer nombre de mangakas dont le grand Kentaro Miura, créateur du monumental Berserk. Relire Ken le Survivant, c’est aussi découvrir presque à chaque page des personnages que l’on a pu croiser dans les jeux vidéo au cours des 30 dernières années, de Street Fighter 2 à The Witcher (l’adaptation en prise de vue réelle sur Netflix avec Henry Cavill en est une parfaite illustration). Personnage culte, Kenshiro est également devenu une figure récurrente des réseaux sociaux via de nombreux mèmes qui fleurissent sur les internets depuis le début des années 2010.

«Dans les dessins animés et les séries japonaises, tout le monde se tape dessus»
Ségolène Royal

Mais si la bande dessinée est un pur produit d’exploitation, elle recèle aussi une seconde lecture plus politique, voire philosophique. Comment ne pas voir dans ce Japon dévasté par la guerre nucléaire les stigmates de l’après-Hiroshima et Nagasaki? Le scénariste Buronson livre également dans ses arcs narratifs une critique acerbe des sociétés capitalistes mues par le profit immédiat et régentées par des puissants forcément despotiques. Son Kenshiro erre dans cet univers à la manière d’un Don Quichotte refusant d’abdiquer et prêt à tout pour retrouver un soupçon d’humanité. Hokuto no Ken est en somme un western apocalyptique et romantique qui cache un propos engagé sous des tonnes de muscle. Vous ne le savez pas encore, mais vous êtes déjà fan.

Les mandales se paient cash

Hokuto no Ken Extreme Edition: c’est avec ce slogan accrocheur que l’éditeur Crunchyroll a relancé l’impression du manga culte en décembre 2022, afin de célébrer dignement les 40 ans du héros sans peur et pas tout à fait sans reproche. Avec un format classique (comprenez plutôt petit) mais un papier de qualité, cette nouvelle édition de Ken le Survivant réserve quelques surprises. Prévue pour être terminée en une vingtaine de volumes (onze sont sortis à l’heure où nous écrivons ces lignes), cette nouvelle édition offre au lecteur des illustrations inédites de Tetsuo Hara, parfaites comme toujours avec le mangaka. A la fin de certains volumes, des appendices historiques nous expliquent en outre le contexte de publication originel ou l’influence qu’a eu Ken le distributeur de pains sur l’industrie du manga ou la culture populaire globale (Ken est très célèbre aux Etats-Unis sous le nom de Fist of he North Star). Seule petite ombre au tableau, le prix: à 25 francs le tome (certes épais), on peut dire que les mandales se paient cash.

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