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Jean-François Delhom, ou comment s’étonner de nos glaciers

Plongé dans les abysses alpins, le photographe gruérien révèle, en philosophe autant qu’en esthète, un monde dont l’agonie n’altère pas la beauté


3 novembre 2023 à 14:25

Temps de lecture : 1 min

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C’est une Atlantide engloutie dans le temps et l’espace. En surface, entre l’épaule des sommets que seules de longues marches permettent d’approcher, une peau comme une houle immobile, détonante pourtant quand vêlent les séracs, gercée de crevasses, de béances aux luisants mystères que recouvre en hiver un traître tapis de neige.

Dessous? Certains y glissent leur corps spéléologue, leur œil qui s’émerveille, plongent entre les falaises luminescentes et dévoilent ce continent profond, ancestral et précaire, d’une beauté déjà révolue car tout a fondu.

A-t-on jamais vu l’entraille d’un glacier? Non ce petit frisson lorsque enfant il fallait poser pour la photo sur les genoux d’un immense ours en peluche, dans le tunnel dégoulinant d’une grotte percée chaque printemps à la naissance du Rhône. Non plus ce triste chenal creusé dans la mer de glace bientôt comme une mare, où se pressent des hordes de curieux sous le dôme fatigué du Mont-Blanc. Mais bien le cœur froid et vertigineux de nos Alpes, car c’est ici une véritable navigation en subterra incognita, une absorption Dans le ventre des glaciers où l’on suit, lampe philosophique à l’esprit, lampe frontale au casque, le photographe gruérien Jean-François Delhom.

Sous le désert gris-blanc

A cet explorateur du beau terrestre, l’on devait déjà d’avoir célébré les noces caressantes de l’eau et de la pierre en images cueillies de Guadeloupe en Nouvelle-Zélande et d’Australie en Amérique, canyons et cascades de lumière liquide dont il fit floraison d’ouvrages.

Mais se refusant depuis 2015 à remonter dans un avion, il s’est mis à regarder ici. «A contrecœur, renonçant aux icebergs, j’ai donc décidé de rester en Suisse et d’apprendre à m’émouvoir près de chez moi, dans mon pays», écrit-il dans ce nouveau livre, sorti cette semaine, qui sublime 153 jours d’aventure dans les tréfonds de 25 glaciers rescapés.

Car plus de 500 ont déjà disparu en Suisse depuis 1850, et leur volume a diminué de 10% ces deux dernières années. Alors que le dérèglement climatique affecte de manière toujours plus rapide et irréversible la cryosphère, les glaciers sont devenus ces véritables «sentinelles du climat», dont l’inexorable extinction symbolise notre incapacité à révolutionner nos rapports au vivant.

Pourtant, nul requiem ici. Célébration certes posthume, car la plupart des quelque 80 cavités gelées investies ces dernières années par l’auteur sont, depuis, retournées à l’état liquide sous le feu de nos étés caniculaires. Mais célébration tout de même, qui ne cède rien à l’esthétique du désastre ni à celle paysagère du kitsch alpin. Au contraire de ces petits maîtres suisses qui de leurs vues sublimantes et distantes faisaient le bonheur des premiers touristes anglais, Delhom s’immerge dans la matière, s’enfonce dans la faille qui est celle aussi de notre remords, éclaire l’agonie glaciaire d’une lueur sensible, vigilante, aimante.

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