Logo

Livres

Rencontre. Etienne Klein

Le physicien le plus médiatique de France donnera une conférence mercredi à Fribourg au sujet de son dernier livre, Courts-circuits. Interview.

Philosophe des sciences et physicien, Etienne Klein est aussi un formidable accélérateur de particules scientifiques dans le magma médiatique. © Francesca Mantovani

19 février 2024 à 12:05

Einstein et Mick Jagger tirent la langue, lui en tire d’audacieuses conclusions sur le temps relatif et l’intrication quantique. Quelle pomme lui est tombée sur la tête? C’est qu’Etienne Klein cultive notre condition physique en brillant vulgarisateur, auteur d’autant de livres et d’émissions que les Stones d’albums.

La méthode de ce philosophe des sciences? Le court-circuit, du titre de son nouveau livre qu’il présentera demain à Fribourg, à l’invitation de l’Alliance française. Une collection, disparate mais éclairante, d’étincelles nées du contact de plusieurs champs gravitationnels, pop culture et cosmologie, réalité et imagination, faire et penser.

S’y dessine, en chapitres qui peuvent se lire dans un joyeux désordre, une formidable trajectoire parabolique qui va de l’intime au surplomb théorique avant de revenir à l’expérience vécue. Dialecticien précis mais enthousiaste, formidable accélérateur de particules scientifiques dans le magma médiatique, le physicien Etienne Klein est un vecteur de curiosité.

Sur YouTube, 2 millions d’internautes ont visionné votre explication d’une heure sur le boson de Higgs… Réjouissant, non?

Etienne Klein: Cet exemple me conforte dans l’idée que les découvertes scientifiques, y compris les plus complexes, peuvent être appréhendées par chacun. Et cela montre aussi que la vulgarisation de la physique est victime non d’un désintérêt mais bien d’une crise de la patience: ce n’est pas en une phrase que l’on peut expliquer le boson de Higgs. J’ai été frappé, lors de l’annonce de la découverte en juillet 2012, de la brièveté des explications dans les médias français. Quand la chaîne Thinkerview m’a demandé une explication en 30 secondes, j’ai refusé, proposant de revenir avec une craie et un tableau noir…

Votre conférence mercredi à Fribourg fera probablement salle comble. Alors pourquoi votre livre se montre-t-il si inquiet sur la transmission des connaissances scientifiques?

On écrit des livres, les gens les lisent, viennent aux conférences, posent des questions. Donc on se dit que la vulgarisation fonctionne! Il y a pourtant un biais, celui du survivant de l’enseignement des sciences à l’école, qui veut que la vulgarisation scientifique n’intéresse… que ceux que la vulgarisation scientifique intéresse. C’est un truisme, mais qui dit bien ce que la crise du Covid a révélé: il y a aussi toute une partie de la population qui manque de culture scientifique au point de s’abreuver à des sources fallacieuses.

En 2022, vous avez d’ailleurs posté sur Twitter la photographie d’une tranche de chorizo en la faisant passer pour l’étoile Proxima du Centaure…

Il m’a été reproché d’avoir diffusé une fake new, or c’était bel et bien un canular, car avoué en tant que tel. Une blague qui a pris des proportions monstrueuses, et qui a mis à nu la puissance de nos biais cognitifs aussi bien que l’inculture scientifique du grand public. Dans le même genre, on a vu apparaître récemment en France une crème «quantique» vendue par Guerlain. Là j’ai bien cru à un canular! Mais j’ai découvert qu’il s’agissait d’un véritable argument de vente pour une crème cosmétique vendue 13 000 euros le litre, qui trompe le consommateur en profitant du halo symbolique du mot «quantique» sans que personne soit capable de dire en quoi elle l’est.

La preuve que la vulgarisation, en matière physique, a encore du chemin à parcourir?

Cela pousse à se demander si elle a un réel impact. Ma réponse sera quantique elle aussi: oui + non. La vulgarisation de la physique quantique est certes efficace, car ce concept complexe a visiblement infusé dans la conscience du grand public. Mais par ailleurs, les gens qui connaissent ce mot sont peu nombreux à savoir ce que recouvre cette notion, dont le parfum presque miraculeux se diffuse indépendamment de sa signification. Je milite pour que l’on tienne en France des assises de la culture scientifique, afin de faire le point sur ce qui fonctionne ou pas dans la transmission des connaissances.

«La vie de l’esprit demande de tels chocs»
Etienne Klein

La solution passe-t-elle par un décloisonnement des savoirs, comme le suggère votre ouvrage?

Il y a des cloisonnements naturels, par exemple entre physique et philosophie, et ils sont sains. Mais il faut tenir compte du fait que physiciens comme philosophes parlent du temps, et par honnêteté intellectuelle aller voir si ce dont ils discutent coïncide ou s’oppose! Ce livre est plutôt un éloge de la vie intellectuelle, du rapprochement de concepts en apparence éloignés, jusqu’à provoquer des courts-circuits, pourquoi pas des étincelles. La vie de l’esprit demande de tels chocs.

«Faire de la science, c’est penser contre son cerveau», écrivait d’ailleurs Bachelard…

Oui, mais ce n’est pas la faute du cerveau, c’est la faute du monde! De ce que j’appelle «le monde», régi par un champ de gravitation particulier où l’on se déplace à des vitesses lentes par rapport à celle de la lumière. Or ce monde nous masque l’univers en nous faisant croire que ce qui y est valable l’est aussi dans l’univers. Lorsque vous avez une montre synchronisée avec celle d’un ami, que vous partez en voyage puis revenez, elles le seront toujours, donnant l’impression que le temps est absolu. Mais cela n’est vrai que dans notre monde! Dans l’univers, deux observateurs qui ne participeraient pas au même mouvement verraient leurs montres se désynchroniser. Donc les lois du monde ne sont pas universelles. C’est cela le génie de la physique: nous faire sortir du monde pour penser l’univers.

En tant que spécialiste du temps, quel regard posez-vous sur les temps qui courent?

Deux choses me frappent. J’ai 65 ans et quand j’étais adolescent, on parlait de l’an 2000 de façon très positive. Il était comme configuré à l’avance, ce qui nous rendait impatients d’être vieux. Aujourd’hui, pour les jeunes générations, il est difficile de se projeter dans un futur laissé en jachère intellectuelle, lorsqu’il n’est pas décrit sur le mode catastrophiste.

Par ailleurs, on voit réapparaître des phénomènes dont je pensais la répétition impossible, une guerre d’Etat à Etat en Europe par exemple. C’est pour moi une expérience douloureuse, et je ne sais trop comment m’engager en faveur de la liberté, mais aussi pour que la vérité puisse conserver un statut qui la distingue de l’erreur. Des thèmes qui font exactement écho à ceux développés par Einstein dans sa conférence de 1933, discours à l’humanité que l’on aurait tout intérêt à relire aujourd’hui.

Einstein, l’éclipse et le scarabée

Ce contenu provient de notre ancien site web. Il est possible que sa mise en page ne soit pas idéale. En savoir plus