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Eric Reinhardt, l’écrivain en son miroir

Finaliste malheureux du Goncourt, Sarah, Susanne et l’écrivain est un roman rocambolesque et sophistiqué, maniéré bien que souvent drôle.

Finaliste malheureux du Goncourt, Eric Reinhardt amuse autant qu’il irrite avec son roman métalittéraire. © Francesca Mantovani

17 novembre 2023 à 14:30

Eric Reinhardt » Le Goncourt? Le nouveau roman d’Eric Reinhardt, publié chez l’influent Gallimard, semblait calibré pour complaire aux exigences esthético-politicardes de la principale distinction française. «Je croise les doigts pour les prix littéraires, j’ai vu que vous étiez encore en lice pour quelques-uns…» s’en amuse même le personnage principal en conclusion de l’ouvrage, s’adressant à «Monsieur l’écrivain» qui, à la faveur d’un dispositif narratif particulièrement alambiqué, fait roman de son histoire.

Car c’est l’histoire d’une histoire. En 2017, après la parution de La chambre des époux, Eric Reinhardt reçoit sur Facebook le message d’une lectrice lui confiant son sentiment d’habiter l’un de ses livres, de vivre une situation digne de son univers romanesque. Après quelques échanges, elle lui envoie un mail de deux pages pour lui offrir le récit de ses déboires, si saisissant que l’écrivain, qui déjà avait composé L’amour et les forêts à partir du témoignage d’une femme rencontrée dans le TGV, se décide à en faire la matière de son prochain livre.

Couches de réalité

Un emboîtement narratif mis en scène dès les premières pages de Sarah, Susanne et l’écrivain, la seconde étant la fictionnalisation de la première, mise en scène par l’alter ego de l’auteur dans un texte qui se construit par bribes sous nos yeux, intitulé La mangeuse de tableau. Abscons? Pour le moins, même si cette sophistication littéraire, non dénuée d’affectation, offre dans sa manière parfois déconcertante de jouer entre les couches de réalité une perspective certes originale, voire ludique, sur la dégringolade affective, psychologique et sociale de la protagoniste.

Il y a, dans cette descente aux enfers, quelques personnages très réussis

Mère de famille animée de velléités artistiques, Sarah-Susanne (car le lecteur en vient vite à confondre ces deux personnages dont les destinées se superposent) prend conscience un beau jour que son mari possède les 75% de leur domicile conjugal. Une répartition inégalitaire qui agit chez elle comme un détonateur, et la pousse à demander à son époux, toujours plus souvent claustré dans sa cave où il s’adonne à de solitaires plaisirs, de remédier à ce patriarcal déséquilibre et de participer plus activement à la vie familiale. Mais comme rien n’y fait, elle tente le tout pour le tout entre la poire et le fromage d’un repas en amoureux, annonçant son départ provisoire. Les effets en seront inattendus.

Tempête sous un crâne, car le lecteur assiste alors à l’effritement psychique de cette femme bientôt tombée en déréliction, prête à tout pour acquérir un tableau à thème religieux dont elle ambitionnait de faire œuvre romanesque, et qu’elle finira par manger après en avoir écaillé, à l’ongle, toute la couche de peinture. Eucharistie iconographique qui la conduira en hôpital psychiatrique non sans quelques péripéties hautement rocambolesques.

Jeu de miroirs

Car il y a, dans cette descente aux enfers, quelques scènes et personnages très réussis: le docteur en philosophie devenu artiste capillaire d’extrême droite décorant son salon avec le tableau tant convoité, la colocataire au magnétisme libidineux, ce mari à particule capable des plus froids calculs: «Si toutes les femmes qui avaient un cancer du sein s’arrêtaient de travailler pour faire de la poterie, je ne donnerais pas cher de notre économie»…

Le drame ici se nourrit de cocasse, dont le trait parfois appuyé (sexe, bagarre et exaltation) est comme passé au filtre d’une langue soignée, voire précieuse, dans un équilibre qui fait l’intérêt et la drôlerie parfois de ce roman.

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