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Livres

Littérature et radio, sur une autre longueur d’onde

Stupeur dans les lettres romandes: la littérature disparaît d’Espace 2 pour mieux s’épanouir sur internet

Dans les studios d’Espace 2 où la littérature disparaît peu à peu de l’antenne, au grand regret des auteurs et éditeurs romands.

18 novembre 2019 à 17:01

RTS » Derrière le micro, les écrivains avaient voix au chapitre. «Dès ses débuts, la radio fait une large place à la littérature», rappelle L’Histoire de la littérature en Suisse romande. Les émissions consacrées au livre ont même fleuri à partir des années 1960, portant régulièrement à l’antenne le verbe soigneux des poètes et romanciers. Une voix qui désormais peine à se faire entendre. Oui, à l’heure où la Radio Télévision suisse (RTS), secouée par le traumatisme de l’initiative No Billag l’an passé, accélère sa mutation numérique dans un contexte de forte pression politique et budgétaire, ce temps semble révolu.

Littérature et audiovisuel public ne seraient-ils plus sur la même longueur d’onde? De l’autre côté de la frontière, au pays d’Apostrophes, la tension est vive: mardi passé, les principaux éditeurs français publiaient une tribune dans Le Monde pour déplorer la disparition récente de plusieurs émissions littéraires télévisées, dont Entrée libre (France 5) et Dans quelle éta-gère (France 2). «Nous appelons à une politique volontariste particulièrement de la part des chaînes publiques pour que les livres retrouvent leur place dans les programmes», écrivaient-ils.

Un dialogue difficile

En Suisse romande, l’inquiétude gagne aussi les milieux littéraires. Car si le livre, au gré de l’actualité, se fraie régulièrement une place sur les divers canaux de la RTS, c’est surtout sur la chaîne radio Espace 2 qu’il était à l’honneur. Etait, car les émissions concernées tendent à disparaître.

En 2016, Entre les lignes était biffée de la grille, tandis que Zone critique se transformait en Culture au point avant de s’arrêter à son tour en décembre 2018. Pour leur succéder, Versus Penser et Versus Lire, qui ont vu leur rythme de diffusion diminuer cette année avant de disparaître à la rentrée de septembre. Ne restent que Caractères ainsi que le magazine Nectar, deux émissions qui pourraient également prendre fin ce printemps, à en croire plusieurs sources internes, ce que la direction ne confirme pas (lire ci-dessous).

Les témoignages recueillis vont de la perplexité à la résignation

Un simple remodelage de la grille des programmes? Les chiffres, extraits des rapports annuels de gestion de la SSR, parlent d’eux-mêmes. En 2013, Espace 2 a consacré 297 heures à la littérature. Une durée qui n’a cessé de diminuer pour tomber à 101 heures en 2018. Si, sur cette même période, les magazines culturels, qui accueillent aussi du contenu littéraire, ont progressé, le constat préoccupe néanmoins les premiers concernés. «Alors que les pages culturelles des journaux sont elles aussi en péril, la radio restait l’un des rares endroits où l’on parlait encore de littérature créée en Suisse. Le service public a pourtant l’obligation de lui offrir de la visibilité. Nous restons donc extrêmement vigilants pour que la SSR respecte son mandat», souligne Nicolas Couchepin.

Ce printemps, le président de l’association Autrices et auteurs de Suisse a participé à une table ronde organisée par la RTS, réunissant différents acteurs du livre afin de faire émerger de nouvelles idées et de nouveaux formats. «C’était en fait surtout pour nous rassurer, cela n’a rien donné, déplore-t-il. Nous devions poursuivre ensemble la réflexion, puis les émissions ont soudainement disparu! Depuis, le dialogue est difficile.»

«Ça sent un peu la panique à la radio»

Du côté des éditeurs, on regrette aussi la disparition de ces émissions radiophoniques, même si personne ne s’illusionne de leurs audiences réelles. «Ce n’est pas seulement une question de visibilité, mais aussi de légitimité, relève Caroline Coutau, directrice des Editions Zoé. Ces émissions permettaient à chacune de nos parutions d’exister, offraient aux écrivains une forme de reconnaissance absolument fondamentale.» En aparté, d’autres éditeurs se montrent plus tranchants, s’indignant que la chute des audiences suffise à justifier la disparition de ces heures d’approfondissement au profit d’un traitement plus superficiel du livre, à l’image de celui proposé par La Librairie francophone.

«Ça sent un peu la panique à la radio», nous glisse un proche de La Sallaz. C’est que la révolution numérique vient bouleverser les habitudes et imposer de nouveaux formats adaptés aux usages contemporains. «Pour répondre à ces changements de comportement», la rédaction de RTS Culture propose depuis le début du mois une newsletter hebdomadaire consacrée au livre, baptisée QWERTZ. Une tentative qui laisse songeurs les professionnels contactés. «Ce n’est pas du tout convaincant pour l’instant. Une telle newsletter ne remplacera jamais une grande émission, d’autant que les journalistes radio ne sont pas tous des gens de plume», tance une éditrice.

Face à cette mutation, les témoignages recueillis à l’interne vont de la perplexité à la résignation. «Ecrire une newsletter, ce n’est pas notre métier. Nous savons faire du son, mais il ne sera plus diffusé à l’antenne… On navigue à vue, avec l’audimat pour seul horizon», assure une source qui évoque aussi le désœuvrement des journalistes dont plusieurs sont proches de la retraite. «Nous avons pris un coup dans l’estomac et fini par baisser les bras, peut-être par lassitude, confie une autre source. Plus que la littérature, c’est le parler de manière générale qui disparaît de l’antenne. Nous sommes convaincus que c’est un désastre, mais lorsqu’on vous dit que plus personne n’écoute vos émissions, cela devient compliqué de se battre…»

Avec un budget annuel de 8,6 millions de francs en 2018 pour une audience tombée sous les 2% de part de marché, Espace 2 semble bel et bien condamnée à se transformer ou à disparaître. La littérature sur les ondes, une page qui se tourne tandis que s’ouvre un nouveau chapitre: la RTS promet de nouvelles propositions culturelles numériques pour les mois à venir, dont des podcasts grand format ou des capsules destinées aux réseaux sociaux.


«L’offre culturelle de la RTS est hybride et globale»

Rédacteur en chef de la rédaction culture de la RTS, Alexandre Barrelet répond aux inquiétudes du milieu littéraire romand.

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