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Le virus nous révèle

Alors que prolifère le coronavirus, la réalité semble rejoindre ces fictions de la contagion qui éclairent notre nature profonde. Car «l’épidémie, c’est l’homme contre lui-même»

Image tirée du film sud-coréen Pandémie (en anglais The Flu), sorti en 2013 et projeté au Festival international de films de Fribourg l’année suivante.

6 mars 2020 à 17:10

Temps de lecture : 1 min

Contaminations » Il se répand, fulgurant. Et c’est toute la collectivité qui tremble, secouée de convulsions allant du déni à l’hystérie, de l’aveuglement relativiste à la psychose. Le coronavirus, qui depuis le début de l’année prolifère sur la surface du globe, éprouve les liens qui nous unissent à nos semblables. Menacé, l’homme social se révèle à lui-même. Voici alors qu’apparaît ce «mélange de courage et de couardise, de dévouement et d’égoïsme» qu’évoquait Hervé Bazin dans Le neuvième jour (1994), roman qui décrit les ravages d’une «sur-grippe» partie d’Inde pour se disséminer en «métastases lointaines où les lignes aériennes jouaient le rôle d’une circulation sanguine».

Nous y sommes. Etrange point de contact du réel et de l’imaginaire, où l’actualité semble répliquer ce que la fiction, des premières tragédies grecques aux plus récentes séries Netflix, n’a cessé d’anticiper. «Il ne faut pas s’en étonner, les grands auteurs sentent très bien les choses et savent que pour qu’une fiction trouve son public, elle doit rencontrer un système de représentation établi. Or la notion d’épidémie travaille notre imaginaire depuis toujours», note Christian Chelebourg, professeur à l’Université de Lorraine et spécialiste des mythologies de fin du monde. Cette crainte ancestrale, ravivée par les nombreuses épidémies dont notre histoire récente est jalonnée, trouverait-elle son ultime validation en ces jours d’urgence sanitaire mondiale?

Si l’expansion incontrôlable du nouveau coronavirus ressemble à s’y méprendre aux prémices de ces récits apocalyptiques tant de fois réinventés, c’est aussi car la pandémie représente un puissant outil narratif. «Sa fonction dramatique est de donner à voir la nature d’un système en y introduisant la cause d’un dysfonctionnement», écrit Liliane Campos, maître de conférences à l’Université Sorbonne Nouvelle. Un «perturbateur-révélateur» dont les créateurs ne se sont pas privés pour éclairer la nature profonde de ce que nous sommes. Voici ce que ces fictions pandémiques, désormais rejointes par la réalité, disent de l’homme, cet animal social.

 

L’homme social est vulnérable

 

Ne plus se rassembler, ne plus se serrer la main, éviter tout contact avec autrui. Lorsque les autorités tentent d’enrayer la transmission interhumaine du virus, le lien à l’autre, seul garant d’un possible vivre-ensemble, apparaît dans toute sa fragilité. «On le voit bien dans les fictions, l’épidémie met en exergue le fait que nos relations ne tiennent pas à grand-chose. Arrêter de se serrer la main, c’est le début du délitement des liens sociaux. Une forme d’irrationalité prend alors les devants, avec des effets massifs sur la collectivité qui peu à peu viennent briser ce qui nous tient ensemble en tant que corps social», analyse Christian Chelebourg, qui s’est récemment plongé dans les nombreux films et séries prenant la propagation virale pour ressort narratif.

Une vulnérabilité qui se trouve encore exacerbée par notre très forte interdépendance. «Notre société est une forme de rhizome, où tout est désormais interconnecté, complète le chercheur. Personne ne peut s’enfermer chez lui et rester à l’abri, il n’y a pas d’ermite dans le monde moderne. Le virus montre à quel point notre rapport à l’autre est indispensable.»

 

L’homme est un être craintif

 

Lorsque les liens se rompent, c’est la peur qui apparaît. «Deux facteurs sont déterminants dans ces ruptures: la peur et la mort ou, autrement dit, la peur de la mort. Les liens sociaux rompus, l’épidémie apparaît comme un agent de désagrégation des communautés. On perd toute référence sociale», écrit l’immunologiste français Norbert Gualde dans son étude Les épidémies racontées par la littérature. Un climat délétère qui rend la peur de la contagion beaucoup plus contagieuse que le virus lui-même. Les comportements deviennent alors irrationnels, à l’image de ceux constatés en Suisse en début de semaine, où les enseignes alimentaires ont vu leurs rayons de produits de première nécessité vidés par les plus craintifs… Chacun fait ses réserves.

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