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«J’ai voulu changer le monde»

Figure des lettres mondiales, la romancière Maryse Condé illumine la rentrée de son Evangile parodique et testamentaire. Interview

Affaiblie par la maladie, l’écrivaine née en 1937 a entièrement dicté ce roman qu’elle considère comme son dernier.

20 août 2021 à 16:01

Littérature » Son Christ fume des Lucky Strike. Né entre les sabots d’un âne sur une île antillaise, il s’appelle Pascal et passe sa vie à courir après sa destinée messianique et à rechercher son divin père avec l’aide d’un Espíritu évanescent, avant de mourir à trente-trois ans, comme il se doit.

Réécriture parodique du texte biblique, L’Evangile du Nouveau Monde, en librairie le 2 septembre, est certainement le roman le plus attendu de cette rentrée d’automne. Oui, car Maryse Condé est reine de l’inattendu. Figure majeure de la littérature mondiale, célébrée notamment pour sa grande fresque Ségou, elle recevait en 2019 le prix Nobel «alternatif» tandis que l’Académie suédoise s’empêtrait dans le scandale #MeeToo – une distinction à la mesure de l’inclassable talent, de l’âme frondeuse, du joyeux iconoclasme de cette Guadeloupéenne nomade qui n’a jamais rien fait comme les autres.

Mais surtout, cette «aventure improbable d’un nouveau messie destiné à harmoniser le monde», hymne erratique à la fraternité et constat d’échec aussi lucide que jubilatoire, prend des airs testamentaires. Née en 1937, affaiblie par la maladie, Maryse Condé a été contrainte de dicter chaque ligne de cet ouvrage qu’elle considère comme son dernier. «Heureusement mon amie secrétaire était patiente et ne se lassait pas de mes corrections perpétuelles», confie-t-elle depuis son refuge provençal, au fil d’un entretien qu’elle a accepté de nous accorder par e-mail. Sa parole, comme un défi lancé au silence.

Alors que Dieu brille par son absence dans votre œuvre, pourquoi cette confrontation tardive au récit biblique?

Maryse Condé: Si Dieu dans mon œuvre brille par son absence, comme vous dites, il est très présent dans ma vie. J’ai été élevée par une mère très pieuse qui chaque jour se levait à cinq heures du matin pour assister à la messe d’aurore. Le premier livre qu’elle m’a mis dans les mains est la Sainte Bible que j’ai adorée, la considérant comme un recueil d’histoires peu ordinaires et passionnantes. Je n’ai pas cessé de la relire et je peux en citer des extraits par cœur. En lisant le livre de José Saramago, L’Evangile selon Jésus, j’ai eu déjà l’envie de faire comme lui puis je n’ai pas osé, prise par une sorte de timidité. Amélie Nothomb et J.M.Coetzee (avec Soif et Une enfance de Jésus, ndlr) m’en ont donné le courage qui me manquait.

Réécrire la Bible, est-ce une manière de se la réapproprier, à l’image de ce qu’a fait Césaire avec La Tempête de Shakespeare?

Non, pas exactement. Comme L’Evangile du Nouveau Monde est le dernier livre que j’écris à cause de ma santé qui décline de plus en plus, j’ai eu envie d’écrire une sorte de testament, d’exprimer mes pensées sur le monde et le désir que nous avons tous de le rendre plus harmonieux. Mais j’ai voulu écrire un testament un peu moqueur qui illustrerait la vanité et le caractère cocasse de nos efforts.

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