Logo

Écrans

Cinéma. Un thriller judiciaire vertigineux palme d'or à Cannes

Le nouveau film de Justine Triet est un thriller de prétoire vertigineux qui dissèque judiciairement un couple

Sandra Hüller fascine dans le rôle d’une écrivaine antipathique accusée du meurtre de son mari. © Filmcoopi

22 août 2023 à 15:35

Anatomie d’une chute » Décrocher la Palme d’or au Festival de Cannes, c’est l’assurance d’être vu à peu près partout dans le monde et d’attirer l’attention. Pour le cinéma d’auteur, c’est une chance inespérée ­ – quand bien même le film diviserait les cinéphiles ou la critique – de créer l’événement. On l’a vu ces dernières années avec les longs-métrages clivants Titane de Julia Ducournau (2021) ou Triangle of Sadness de Ruben Östlund (2022). Mais la Palme d’or 2023 est d’un autre genre puisqu’elle semble faire l’unanimité. Quatrième long-métrage de Justine Triet, Anatomie d’une chute est un thriller judiciaire implacable doublé d’une analyse fine des rouages familiaux. Un film de genre qui a tout du classique qui arrive à point nommé pour la rentrée cinématographique.

Tout commence dans les Alpes françaises, en Savoie, à la saison où la neige commence à fondre sur les pentes. Sandra Voyter (Sandra Hüller) est une écrivaine allemande qui vit avec son mari français, Samuel Maleski (Samuel Theis), et leur fils malvoyant de 11 ans, Daniel. On découvre Sandra alors qu’une journaliste vient l’interviewer dans son chalet. Hors champ, on devine le mari agacé par cet entretien. Alors qu’il travaille sous la toiture, il pousse très fort le son de son enceinte afin de déranger sa compagne et son invitée. La mélodie au steel drum du morceau P.I.M.P. de 50 Cent ainsi répétée en boucle installe rapidement la tension. Quelques instants plus tard, le fils revient de sa balade et découvre le corps inanimé de son père étendu sur une neige tachée de sang.

L’autopsie conclut que l’homme est tombé du grenier et que c’est un coup à la tête qui est responsable de sa mort. Accident? Meurtre? Suicide? Les enquêteurs soupçonnent Sandra, dont le couple traversait une période compliquée. Elle est inculpée. Une année plus tard, lors du procès, c’est la vie intime de Sandra et Samuel qui est dévoilée devant la Cour et sous les assauts déterminés du procureur (Antoine Reinartz). Le jeune Daniel assiste à la dissection en règle du couple formé par ses parents ainsi que de sa famille. Un film éreintant et virtuose qui nous plonge dans les abîmes des relations humaines étalées sur l’autel d’une justice qui a tout d’un théâtre des vanités.

Jeu de piste

Construit à la manière d’un jeu de piste vénéneux, le film ne livre ses clés de compréhension au spectateur qu’au compte-goutte. Ce dernier est directement plongé dans une intrigue dont il ne maîtrise pas les enjeux. La réalisatrice Justine Triet (La Bataille de Solférino, Sibyl) s’est notamment inspirée d’un fait divers réel: l’affaire d’Amanda Knox. Cette dernière est une auteure et journaliste américaine qui a été emprisonnée plus de quatre ans en Italie à la suite de sa condamnation pour le meurtre, en 2007, de Meredith Kercher, une étudiante anglaise qui partageait son appartement dans un programme d’échange linguistique. En 2015, Amanda Knox est acquittée par la justice italienne mais sa famille est ruinée par des années d’une coûteuse procédure.

Jamais le spectateur ne sait s’il doit conclure à l’innocence ou à la culpabilité de l’accusée

La «chute» du titre est bien entendu multiple. Il s’agit bien sûr de la chute mortelle de Samuel, mais aussi de la chute de ce couple qui a été heureux mais qui a fini par basculer dans la violence. Mais c’est surtout la dégringolade de Sandra, femme forte et indépendante peu à peu écrasée par le système judiciaire. Une triple lecture que Justine Triet met en scène de façon méthodique et discrète tout en étant incroyablement efficace. Jamais le spectateur ne sait par exemple s’il doit conclure à l’innocence ou à la culpabilité de l’écrivaine. L’interprétation de Sandra Hüller, entre fragilité et distance, fait des merveilles. Son personnage antipathique et parfois même glaçant n’en demeure pas moins une victime, elle aussi, d’une société qui voudrait que les femmes se comportent conformément à un archétype.

Ce contenu provient de notre ancien site web. Il est possible que sa mise en page ne soit pas idéale. En savoir plus