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Écrans

Les os calmes du Guatemala

Le cinéaste César Diaz exhume les cadavres de son pays dans un beau film de mémoire

Anthropologue judiciaire, Ernesto retrouve la trace de son père, un guérillero porté disparu. Il mène l’enquête pour retrouver sa trace dans un Guatemala meurtri.

29 décembre 2020 à 13:33

Nuestras Madres » Un humérus, un cubitus, puis quelques phalanges méticuleusement alignées devant les métacarpes. Et pour finir un crâne délicatement posé sur un coussin. Les deux petits orifices percés dans l’os, l’un au front et l’autre au niveau de l’occiput, ne laissent guère de doute sur la cause de la mort… Après avoir soigneusement consigné ses conclusions dans un carnet, Ernesto peut enfin rentrer chez sa mère, avec qui le jeune homme vit encore. Il est anthropologue à l’Institut national de médecine légale, à Guatemala City. Son métier: rassembler un à un les os retrouvés dans les nombreuses fosses communes du pays. Stigmates douloureux de la guerre civile qui a ravagé le Guatemala entre les années 1960 et 1996 et causé la mort de plus de 200 000 personnes.
 

 

Alors que les témoignages sordides s’enchaînent, une femme contacte Ernesto pour lui demander d’exhumer son mari, exécuté en 1982 par des soldats dans un petit village. Elle montre même à l’anthropologue une photographie jaunie de son époux accompagné d’autres hommes. Parmi eux, le jeune homme croit reconnaître son père, guérillero porté disparu. Contre l’avis de sa mère, qui ne souhaite pas faire revivre les fantômes d’un passé traumatisant, Ernesto se lance corps et âme dans une enquête à la recherche de son père. Le long-métrage devait sortir en Suisse à la fin novembre et trouve ces jours le chemin de la VOD sur la plateforme Filmingo.

Caméra d’or à Cannes

Nuestras Madres – «nos mères» – est le premier film guatémaltèque à être présenté au Festival de Cannes. Une première qui a valu à son réalisateur César Diaz – qui a émigré au Mexique puis en Belgique avec sa mère dans les années 1980 – de remporter la très convoitée Caméra d’or. Une distinction qui couronne un travail de mémoire méticuleux et qui fait ressentir à travers la fiction la douleur insondable d’un peuple victime d’une des guerres civiles les plus meurtrières d’Amérique latine.

Derrière ces os calmes qui dorment depuis des dizaines d’années dans des charniers il y a encore plus de vies brisées, de femmes abandonnées, de mères éplorées… Des destins que César Diaz met en lumière avec dignité en s’effaçant derrière son sujet. Un peu trop. Sans doute paralysé par l’enjeu d’un film dont le sujet est sensible, le cinéaste se contente d’une mise en scène propre et épurée mais à laquelle il manque un peu d’inattendu.

Ce parti pris de la sobriété n’empêche toutefois pas ce long-métrage dense et râblé d’une heure et dix-sept minutes de révéler par moments une surprenante beauté. Des visages silencieux filmés en gros plans, cette fête d’anniversaire au son de L’Internationale ou des témoignages poignants qui rappellent que dans l’horreur, la réalité dépassera toujours la fiction. Avec ses forces et ses quelques faiblesses Nuestras Madres est sans doute un film nécessaire, à défaut d’être nécessairement un grand film.
 

NUESTRAS MADRES

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