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Écrans

Cinéma. L’empereur manchot de Ridley Scott

Ridley Scott filme Joaquin Phoenix en Napoléon Bonaparte dans une épopée déroutante et forcée

l’Américain Joaquin Phoenix incarne un Napoléon Bonaparte sans gloire, pathétique même. © Sony Pictures

21 novembre 2023 à 11:20

Napoléon » C’était bien avant Gladiator et même encore avant Blade Runner et Alien… Le réalisateur britannique Ridley Scott sortait son premier long métrage Les Duellistes (1977), opposant deux lieutenants de l’armée napoléonienne campés par Harvey Keitel et Keith Carradine. Quarante-six ans plus tard, le cinéaste retrouve la figure historique de Napoléon Bonaparte. Mais si elle n’était que fantomatique dans sa première réalisation, elle occupe ici le centre d’une fresque épique, sous les traits du comédien américain Joaquin Phoenix.

Projet d’envergure produit par les studios Apple, Napoléon a tout de l’épopée historique taillée pour le grand écran. Ridley Scott rejoint ainsi le club des réalisateurs qui se sont déjà attaqués à la vie du Petit Caporal: Abel Gance (Napoléon, 1927, Napoléon Bonaparte, 1935 et Austerlitz, 1960), Sacha Guitry (Napoléon, 1955), Sergueï Bondartchouck (Waterloo, 1970) ou Antoine de Caunes (Monsieur N., 2003), sans oublier Stanley Kubrick et son film avorté Napoleon, surnommé «le plus grand film qui n’a jamais été tourné» et qui pourrait selon la rumeur bientôt voir le jour sous la forme d’une série grâce aux efforts conjoints de Steven Spielberg et de la chaîne HBO.

Mais dans le souci de se démarquer des autres, Ridley Scott emmène son odyssée militaire sur des territoires encore insoumis: la tragédie comique et la romance toxique. C’est notamment l’actrice Vanessa Kirby qui interprète la vénéneuse Joséphine de Beauharnais. Sur le papier, tous les éléments d’un grand film semblent réunis: des moyens financiers importants (170 millions de dollars), des comédiens doués (Phoenix, Kirby mais également Tahar Rahim, Ludivine Sagnier, Ben Miles) et bien sûr un cinéaste qui n’a jamais rechigné à déconstruire les mythes associés aux grandes figures historiques (Christophe Colomb dans 1492, Moïse dans Exodus, ou la famille Gucci dans House of Gucci).

Traîné dans la fange

Dès les premières séquences, notamment le siège de Toulon en 1793, celui qui n’est encore que le capitaine Bonaparte est présenté sous un jour plutôt ridicule. Alors qu’il charge, agité par des spasmes d’inquiétude, son cheval est explosé – littéralement – par un boulet de canon. Tout au long du film, Ridley Scott semble mettre un point d’honneur à traîner son personnage principal dans la fange. De sa fuite risible lors de son coup d’Etat à la prise de Moscou où le Tsar ne lui concède qu’un trône recouvert de fientes de pigeons. En Egypte, Napoléon doit même grimper sur une caisse en bois afin d’examiner une momie bien trop imposante pour lui… On est loin du caractère grandiose souvent associé au personnage.

Même s’il fait plus de deux heures trente, Napoléon semble courir après son intrigue

Joaquin Phoenix fait à ce titre un travail formidable pour incarner les faiblesses de l’homme sous le bicorne. Napoléon se montre maladroit, pour ne pas dire carrément manchot, tête en l’air et surtout pathétique lorsqu’il est en compagnie de Joséphine de Beauharnais, son grand amour. Cette relation compliquée est au cœur du long métrage. On découvre une femme sûre d’elle et intrigante qui se joue d’un mari asservi – et mauvais amant à l’occasion de plusieurs scènes à l’humour burlesque assumé. Empereur mégalomane ou cocu de service, Ridley Scott refuse de choisir.

Expérience frustrante

Cette approche iconoclaste de la figure napoléonienne aurait pu être réussie si le cinéaste n’avait pas essayé en même temps de résumer tous les grands faits d’armes de son héros. Même s’il fait plus de deux heures trente, Napoléon semble perpétuellement courir après son intrigue. On boucle l’épisode de la bataille d’Austerlitz en un quart d’heure et celui de la campagne de Russie en dix minutes. L’exil sur l’île d’Elbe en prend cinq à tout casser, etc.

Ceux qui s’attendaient à une vision résolument originale de l’empereur resteront sur leur faim tandis que les amoureux de batailles épiques et de séquences de stratégie militaire demeureront dramatiquement insatisfaits. Et pourtant Ridley Scott a déjà prouvé qu’il pouvait assurer en la matière (Kingdom of Heaven).

En résumé le film de Ridley Scott semble ne pas savoir sur quel pied danser. Et le fait que son film soit tourné en anglais participe également au caractère déroutant de l’ensemble, même si les comédiens s’en sortent bien. A n’en pas douter, le réalisateur a certainement dû faire de grosses coupes au montage pour que son long métrage reste digeste… La rumeur fait d’ores et déjà d’une version director’s cut de plus quatre heures qui pourrait sortir sur la plate-forme de streaming Apple TV +. Avec ses bonnes idées mal exploitées et ses batailles solides mais vite oubliées Napoléon restera surtout une expérience frustrante.

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