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Le Garçon et le héron, ultime voyage d’Hayao Miyazaki

Le cinéaste japonais revient après un silence de dix ans avec un nouveau long-métrage d’animation poétique techniquement virtuose mais hélas aussi thématiquement trop touffu et globalement confus.

Dans Le Garçon et le héron, Hayao Miyazaki rassemble toutes ses obsessions. © Frenetic Films

3 novembre 2023 à 14:00

Cinéma » Hayao Miyazaki nous avait déjà fait le coup il y a dix ans à la sortie de son film Le vent se lève. Le maître japonais du cinéma d’animation le jure à nouveau: cette fois-ci il nous livre son ultime long-métrage. Le Garçon et le héron, sorti sur les écrans helvétiques cette semaine, sera-t-il réellement le chant du cygne du légendaire cinéaste âgé aujourd’hui de 82 ans? On va faire semblant, même si le Studio Ghibli a d’ores et déjà plus ou moins laissé entendre le contraire. Adulé pour ses œuvres toujours poétiques, techniquement virtuoses et hantées par des obsessions récurrentes (la famille, l’enfance, l’écologie, le ciel, les êtres magiques…), Hayao Miyazaki semble vouloir mettre un point final à sa carrière avec ce film qui brasse ses thématiques habituelles.

Le Garçon et le héron est d’ores et déjà auréolé par la critique internationale de l’étiquette entendue du «chef-d’œuvre» (comme à chaque fois… soupireront les sceptiques). Reste à savoir si ces louanges canoniques se traduiront par un succès populaire. Mon voisin Totoro, Princesse Mononoké ou Le Voyage de Chihiro ont su conquérir le public et sont désormais des jalons de la culture populaire mondiale – parfois plus de 10 ans après leur sortie au Japon – tandis que d’autres réalisations sont tombées dans un oubli relatif (Kiki la petite sorcière, Le Château dans le ciel). Un indice toutefois: les salles de cinéma étaient pleines au Japon au mois de juillet lorsque le film est sorti, et ce malgré une promotion minimaliste. Preuve que le public n’a pas oublié Miyazaki durant sa longue absence.

Glissement fantastique

Le Garçon et le héron est adapté du roman Et vous, comment vivrez-vous?, de Genzaburo Yoshino, publié en 1937, qui décrit le Japon des années 1930. Un adolescent orphelin de mère est placé sous la tutelle de son oncle… Chez Miyazaki, le garçon du titre s’appelle Mahito. Il a perdu sa mère dans un bombardement à Tokyo et a quitté la grande ville pour rejoindre son père et sa nouvelle épouse enceinte à la campagne. Nous sommes en pleine Seconde Guerre mondiale, et le paternel dirige une usine d’armement qui fabrique des vitres pour les cockpits des avions de chasse nippons. A peine arrivé dans sa nouvelle demeure, un manoir retiré, Mahito repère un héron cendré étrangement peu farouche qui quitte son étang pour venir battre des ailes près du garçon, comme pour l’accueillir ou le mettre en garde.

Mahito, âgé de 11 ans, ne parvient pas vraiment à s’intégrer dans sa nouvelle école et se blesse lors d’une bagarre avec d’autres enfants. Cet événement va faire glisser le récit vers le fantastique. Irrémédiablement attiré par ce héron de plus en plus étrange et menaçant, le garçon découvre une ancienne tour abandonnée et partiellement envahie par la végétation. Lorsqu’il ose se risquer à l’intérieur, il découvre un monde parallèle peuplé de créatures toutes plus farfelues les unes que les autres: une femme pirate, de petits êtres tout mignons appelés Warawaras, une magicienne qui joue avec le feu, des pélicans agressifs, un vieux sage qui semble tirer les ficelles ou encore une colonie de perruches grotesques et anthropophages.

Une compilation

Dès la première séquence, celle de l’incendie de Tokyo, on se dit qu’Hayao Miyazaki n’a rien perdu de son talent. Les images qu’il nous sert sont tout simplement magnifiques. Les décors oscillent entre l’infinie richesse des intérieurs et l’épure majestueuse des grands espaces naturels. Les personnages sont quant à eux superbement animés. On partage sans peine les émotions de Mahito, et on se prend à rigoler en compagnie d’une ribambelle de servantes âgées, fantasques et prêtes à tout pour dénicher quelques cigarettes, un bien rare en temps de pénurie. Visuellement, Le Garçon et le héron est un enchantement, un périple onirique dont les figures inquiétantes hanteront pour longtemps l’esprit du spectateur ébahi. Plutôt destiné à un public adulte, le film est d’ailleurs réservé aux plus de 12 ans.

Hayao Miyazaki se perd dans son propre labyrinthe

Mais si techniquement le long-métrage est irréprochable, on ne peut pas en dire autant de son scénario pour le moins sibyllin. Certes, on voit à peu près où le cinéaste veut en venir: triomphe d’une nature animiste, perte des illusions de l’enfance, découverte d’un monde où la mort vous guette, résilience… Mais à vouloir compiler tous ses sujets de prédilection dans un seul récit, Hayao Miyazaki compose une fresque trop impressionniste pour être compréhensible. Et ce n’est pas tant la complexité du propos qui est en cause – nous sommes ici en terrain archibalisé – mais plutôt l’accumulation de motifs qui ressemble à une fuite en avant pour le moins embrouillée.

Le cinéaste multiplie ainsi les personnages pour mieux les laisser tomber quelques instants plus tard et ne plus jamais les reconvoquer. Récit initiatique plastiquement superbe et traversé par le fantôme d’une mère absente, Le Garçon et le héron contient à lui seul tout l’ADN des plus belles œuvres d’Hayao Miyazaki. Mais à vouloir tout dire en même temps, le réalisateur se perd dans son propre labyrinthe.

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