Logo

Écrans

La France se regarde en face

Le documentaire Un pays qui se tient sage jette une lumière crue sur les violences policières en France

Un policier menace un journaliste à bout portant lors d’une manifestation des gilets jaunes.

6 octobre 2020 à 15:33

Un pays qui se tient sage » Le calme d’un café pour parler coups de matraque, humiliations et mutilations infligés en France par la police sur la population osant descendre dans la rue pour contester les inégalités. Gilets jaunes, habitants des banlieues, occupants des zones à défendre: le champ de bataille s’étend à perte de vue. David Dufresne prend le temps, entre deux rendez-vous pour accompagner la sortie de son documentaire Un pays qui se tient sage, de parler du fond. Son film s’interroge sur le monopole de la violence revendiqué par l’Etat, citant Max Weber. Plusieurs urgences en ressortent: ouvrir le débat, donner de la voix à ceux qui se trouvent écrasés par le rouleau compresseur médiatique, montrer sans filtre l’action de la police, ce bras armé de l’Etat, garder, toujours, la démocratie à l’horizon. Interview.

Le député Fabien Gouttefard (La République en marche) a dit: «Ce documentaire va faire mal à la police et s’il fait mal à la police, il fera mal à la République.» Est-ce là votre but?

David Dufresne: Cette séquence montre deux choses. La première est une forme de chantage. Lorsqu’on critique la police, on critiquerait la République. Alors que critiquer la police, c’est se comporter en républicain. A priori, la République accepte qu’on en débatte, sinon elle devient autre chose. Le film se pose précisément contre ce chantage. Ensuite, on y voit un raccourci navrant, digne de la génération TV. Ce député n’a pas vu le film, mais des compilations d’images. Je lui ai écrit sur Twitter pour l’inviter à une date près de chez lui, il n’est pas venu.

On voit les intervenants en train de regarder les images des manifestations. Parfois, cela déborde même sur leurs corps. Pourquoi ce choix?

Il s’agit d’utiliser l’écran de cinéma pour ce qu’il est: une projection. Le spectateur voit la victime en train de se voir… On est dans le cinéma! Alors que d’habitude, on voit ces images sur un tout petit écran. Et soudain, cela devient l’Histoire. Vous vous rendez compte, si quelqu’un avait pu filmer la prise de la Bastille au smartphone en 1789?

«Le spectateur voit la victime en train de se voir… On est dans le cinéma!»
David Dufresne

On voit Mathilde Larrère dans le film, grande historienne des révolutions et de la citoyenneté. Vous abordez la difficulté pour l’Etat français républicain de se défaire de ses racines…

Une grande partie de cet aspect historique est malheureusement passée à la trappe, mais on a beaucoup parlé de la symbolique et de l’imaginaire révolutionnaire, oui.

Après un défilé d’experts et de manifestants aux profils occidentaux surgit la thématique de la banlieue. Les images de Mantes-la-Jolie – des lycéens maintenus à genoux, mains sur la tête, par des policiers armés de matraques – sont commentées par le journaliste Taha Bouhafs et deux mères d’étudiants. Ils expliquent que les quartiers ont servi de laboratoire pour développer les pratiques appliquées aux gilets jaunes…

C’est la séquence la plus longue et la plus décortiquée du film. Alain Damasio (écrivain de science-fiction, ndlr) y parle de régime disciplinaire, Taha Bouhafs parle de laboratoires, on y explique que les habitants des banlieues sont considérés comme des sous-citoyens. Pour moi, tout est dit, mais j’entends des voix pour qui il aurait fallu faire plus encore. Un film n’est pas Atlas, il ne peut tout porter à lui seul.

Vous reprenez l’image de Vladimir Poutine ironisant devant Emmanuel Macron sur sa gestion des manifestations. Peut-on encore dire de la France qu’elle est le pays des droits de l’homme?

La France est très prétentieuse, persuadée d’être le phare de l’humanité. Ce n’est pas au film de répondre à votre question, car il ne fait qu’interroger. Mais s’il permet de la susciter, c’est gagné.


CRITIQUE

Un outil de réflexion sur la démocratie

On aurait pu craindre que le documentaire de David Dufresne oppose sans plus de nuance de gentils manifestants armés de nobles idéaux à des forces de l’ordre fascisantes équipées de matraques et de flash-balls. Il n’en est rien. L’écrivain, journaliste – notamment pour Libération, Mediapart ou i>Télé – et cinéaste choisit une autre voie. En effet, son film se veut plutôt un outil de réflexion sur la démocratie. Un ustensile pertinent pour comprendre comment s’exerce la violence, physique mais également symbolique, de la société française, qui par certains aspects n’est pas si éloignée de la nôtre.

En investissant le terrain de la philosophie, Un pays qui se tient sage élève le débat. Ce n’est pas un hasard s’il a reçu le soutien de la Quinzaine des réalisateurs du Festival de Cannes. Avec ses images crues, difficiles à regarder parfois, le film a pour lui un impact visuel fort. Mais c’est par sa capacité à décoder les mécanismes qui conduisent à la violence exercée par l’Etat qu’il se montre le plus puissant. Un film indispensable dont on ressort grandi. Olivier Wyser

Un pays qui se tient sage

Ce contenu provient de notre ancien site web. Il est possible que sa mise en page ne soit pas idéale. En savoir plus

Dans la même rubrique