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Cinéma. Bâtiment 5 de Ladj Ly, retour nerveux et politique

Le réalisateur des Misérables revient avec un nouveau long-métrage intense sur fond de crise du logement dans une cité de la banlieue parisienne.

Une barre d'immeuble est dynamitée dans une cité de la banlieue parisienne... L'onde de choc va faire vaciller la mairie. © Filmcoopi

5 décembre 2023 à 11:05

Son premier film Les Misérables (Prix du Jury à Cannes en 2019) avait fait l’effet d’une bombe. Le cinéaste Ladj Ly revient avec Bâtiment 5, un long-métrage qui s’apparente cette fois plutôt au dispositif piégeux d’une mine antipersonnel. Le réalisateur revient dans la cité des Bosquets, à Montfermeil, en banlieue parisienne. Si Les Misérables soulignait les rapports tendus entre la population, la jeunesse surtout, et une police brutale sur les pas du classique de Victor Hugo, Bâtiment 5 (dont le titre international est Les Indésirables) s’attaque cette fois-ci à l’épineuse problématique de l’accès au logement et des luttes politiques qui se jouent en coulisses.

Second volet d’un triptyque, ce nouveau film adopte le même style narratif hyperactif que son prédécesseur. Rien que dans les cinq premières minutes, une multitude d’enjeux sont exposés dans un tourbillon d’images: un long plan aérien pose le décor composé de barres HLM décaties, puis l’une d’elles est dynamitée, créant une onde de choc qui provoque l’arrêt cardiaque du maire de la ville venu faire un discours…

Ladj Ly évolue toujours à la frontière entre le film social et le film de genre

Son adjoint Pierre Forges, un infect arriviste, reprend les rênes de la municipalité et mène une politique répressive et liberticide. Haby, une jeune femme très impliquée dans la vie de sa commune, découvre avec effroi que ce maire ad interim prévoit la démolition d’un autre immeuble pour permettre la construction d’un vaste et lucratif projet immobilier. C’est le début d’un bras de fer implacable pour éviter la destruction du fameux bâtiment 5.

Le bien, le mal

Dans son premier film, Ladj Ly embrassait des thématiques sociales en les dissimulant habilement dans un polar urbain qui tenait plus de Training Day que de La Haine. Avec Bâtiment 5, il se lance dans le projet ambitieux de réaliser un film dossier mettant en lumière les rouages peu reluisants et les machinations politiques de l’appareil administratif.

Pour incarner les dysfonctionnements du système, Alexis Manenti est un véritable atout (César du Meilleur Espoir masculin en 2020). Le comédien livre une remarquable partition dans la peau de ce shérif autoritaire à la cruauté banale construisant son univers sur le racisme et la peur. Mais si l’intention de dénoncer la corruption est louable, l’exécution pose quelques problèmes.

Les seconds couteaux (l’adjoint au maire interprété par Steve Tientcheu ou la responsable politique jouée par Jeanne Balibar) sont bien trop stéréotypés pour être honnêtes. On frise parfois la parodie. Il en va de même pour les révoltés Haby (Anta Diaw) et Blaz (Aristote Luyindula). Deux personnages qui symbolisent l’envie de se battre des habitants des cités, la première par la voie démocratique en se lançant en politique et le second par la violence aveugle. Deux visions qui s’opposent, certes, mais qui se rejoignent dans un traitement un rien simpliste.

A vouloir tout raconter en une heure et demie, Ladj Ly prend forcément des raccourcis qui nuisent à la vraisemblance de son audacieux projet. On nous propose une lutte entre le bien et le mal là où la nuance et l’ambiguïté auraient sans doute éclairé le propos.

Une verve politique

Mais si le fond du film se montre manichéen, peut-être même un peu populiste, sa réalisation demeure quant à elle hyperefficace et séduisante. On retrouve le rythme frénétique qui nous avait emballés dans Les Misérables. Aucun temps mort dans ce long-métrage qui traduit bien la complexité de son scénario tentaculaire. La tension est notamment palpable grâce aux généreux mouvements de caméra (grues, drones, zooms) et au montage bouillonnant mais toujours lisible. Le cinéaste n’a rien perdu de son talent pour donner vie aux multiples communautés qui composent le tissu social de sa cité des Bosquets. Une réussite.

Ladj Ly évolue donc toujours à la frontière entre le film social et le film de genre. Bâtiment 5 se nourrit de surcroît de faits personnels vécus par le réalisateur et ses parents, originaires du Mali. Pas étonnant du tout de la part d’un cinéaste qui a fait ses premières armes dans le documentaire. Et même si son film est parfois caricatural, il a le mérite de poser sur la table une thématique – le délogement, la gentrification – qui touche bien au-delà des grands ensembles de la périphérie de Paris. Qui plus est, le cinéaste le fait avec style et panache, ce qui n’est pas gagné dans l’Hexagone. Une verve cinématographique pleine de nervosité qui fait mouche malgré quelques réserves. Vivement le troisième et dernier volet.

Un film de Ladj Ly.
Avec Alexis Manenti, Anta Diaw, Steve Tientcheu.
Durée: 1 h 38
Age: 14/14
A voir à Fribourg.
Notre avis: 3 étoiles

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