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Un trésor nommé Emmanuelle

Emmanuelle Chaudet-Julien a eu deux vies. Trésorière d’entreprise, elle est aujourd’hui artiste

Emmanuelle Chaudet-Julien dans son atelier, son cocon taillé sur mesure dans les locaux du Marly Innovation Center.

3 juillet 2021 à 21:04

Marly » Trésorière. Emmanuelle Chaudet-Julien a exercé cette profession dans une autre vie. D’abord en France, où elle a grandi, mais aussi en Suisse, à Marly, où elle a débarqué voilà plus de dix ans. Des problèmes de santé ont mis un terme à sa carrière. Elle cesse alors de s’occuper des trésors des entreprises pour mieux cultiver les siens.

Dans son coffre? D’innombrables pépites. Un talent fou. Pour la peinture, d’abord, que cette jeune quinquagénaire développe petit à petit. Pas à pas. Dans son atelier, comme un cocon sur mesure au Marly Innovation Center, elle crée, expose, partage beaucoup, aussi. Bref, une femme infiniment sociale dont la grandeur frappe d’emblée dans son fauteuil roulant.

Famille

Née le 19 février 1969. A grandi à Troyes, en France. Sa mère, Danièle, était enseignante, et son père, Paul, entrepreneur. Un frère, Marc. Habite à Marly.

Formation

Etudes universitaires à Paris en gestion et finance d’entreprise. Est arrivée en Suisse en 2009 pour travailler à Marly.

Hobbies

Théâtre, danse, opéra, concerts, dessiner, peindre, cuisiner. Profiter de la vie. La convivialité.

 

Emmanuelle, vous avez été trésorière d’entreprise durant de nombreuses années. Racontez-nous…

J’ai travaillé d’abord à Paris, où j’ai adoré vivre. Puis, j’ai eu envie d’autre chose, de faire de nouvelles expériences. Je fonctionnais aux challenges intellectuels. Un travail m’ennuyait, je démissionnais et je bougeais. Je suis donc partie m’installer à Castres, dans le sud de la France, où j’ai travaillé pour le laboratoire dermato-cosmétique Pierre Fabre, dont font partie les produits Avène, notamment. J’y occupais le poste d’adjointe du trésorier. C’était un sacré changement de vie. A Paris, tout était à proximité. Je n’avais pas mon permis de conduire, personne ne m’avait posé la question avant de m’engager. Evidemment, une fille de trente ans qui n’a pas son permis, ce n’était pas envisageable (elle rit). J’ai vite compris qu’il fallait que je le fasse. Je l’ai passé trois fois, je n’étais pas douée en plus, mais je l’ai eu! J’y suis restée plus de huit ans et j’ai vraiment aimé cette vie! A Castres, j’ai nourri autre chose. Je me suis inscrite à l’Ecole des beaux-arts, où j’ai appris la peinture, la sculpture, la gravure, entre autres. Et j’ai aussi commencé à chanter.

Une vie qui vous a finalement menée en Suisse. Pour quelles raisons?

Je suis arrivée en Suisse en 2009 pour des raisons professionnelles. Je m’ennuyais, il y avait à nouveau ce besoin de challenges. Je suis d’abord allée en Bourgogne mais ça n’a pas fonctionné, je me suis trompée, ce travail ne me convenait pas. Puis, un chasseur de têtes m’a proposé, à trois reprises, un poste en Suisse, à Marly. Et là, c’est le blanc, car je n’avais jamais pensé à la Suisse!

Pourtant, il y a quelques trésors et liquidités à gérer par ici…

Oui mais je ne sais pas pourquoi. J’ai ravalé ma salive et j’ai dit, d’un ton assuré, que oui, j’étais intéressée. Donc, je suis venue passer un entretien d’embauche à SBM Offshore, dont la trésorerie était à Marly. Je me souviens, il faisait une chaleur d’enfer ce jour-là. Je n’avais pas de climatisation dans ma voiture et il y avait une odeur de purin, à vous ravager les narines! Je ne connaissais pas Fribourg. En partant, je suis allée faire un tour de la ville et je suis tombée sur l’Espace Jean Tinguely - Niki de Saint-Phalle, qui m’a rappelé mon enfance, car mon père habitait à Paris, au pied du Centre Pompidou, où il y a la fontaine de Tinguely et Niki de Saint-Phalle. Je me suis dit: c’est un signe, je dois venir ici.

Douze ans plus tard, vous y êtes toujours mais vous n’êtes plus trésorière. Pourquoi?

La santé m’a rattrapée. J’ai toujours beaucoup travaillé. A 24 ans, le diagnostic a été posé. Je souffre d’une myopathie, une maladie musculaire auto-immune. J’étais étudiante, j’ai aménagé mes études pour gérer les traitements. J’ai d’abord fait une dépression car l’annonce a été terrible. On m’a longtemps dit que j’étais molle. Le diagnostic a été un soulagement, ce n’était pas de ma faute! Mais à 24 ans, on rêve sa vie, on est en pleine puissance. On vous annonce une maladie qui restreint le champ des possibles. Cela a été difficile, tout le monde pensait que je n’irais pas au bout de mes études.

Vous avez travaillé durant des années sans rien dire de votre maladie à vos collègues?

J’avais décidé d’entrer dans la vie active sans être malade. Je voulais me prouver que je pouvais travailler comme tout le monde: j’ai une atteinte musculaire mais pas intellectuelle. J’avais mis beaucoup d’importance dans la vie professionnelle. J’étais un être social si j’étais un être qui travaillait. Il y avait une sorte de dédoublement de la personnalité. Je travaillais la semaine et je suivais mes traitements à l’hôpital durant le week-end. Je me suis abîmée.

«J’ai passé quarante ans de ma vie à être une tête et voilà que ce corps, soudain, me prend tout»

Emmanuelle Chaudet-Julien

Cela a été plus facile de le faire à Paris qu’à Castres où tout le monde se connaît et se croise. J’ai alors commencé à le dire, car l’atteinte, aussi, devenait de plus en plus visible. En Suisse, c’est devenu encore plus compliqué. Il y a eu un vrai déni. Un combat intérieur. Je savais que c’était fini, mais je ne voulais pas l’admettre. C’est une lutte dévastatrice. J’ai passé quarante ans de ma vie à être une tête et voilà que ce corps, soudain, me prend tout. Je l’ai dompté durant des années et il a pris sa revanche.

Regrettez-vous cette vie d’avant?

Non car j’ai eu deux vies. C’est une chance folle! Deux vies qui, en plus, n’ont rien à voir. Si, aujourd’hui, on me propose de remonter le temps, mais sans la maladie, je pense que je ne pourrais plus faire ce job même si le challenge intellectuel me motiverait.

Puis, vous êtes devenue artiste. Votre première exposition, vous l’avez préparée alors que vous étiez dans un foyer pour adultes handicapés…

J’y ai passé six mois, c’était en 2015. Quelques jours après la sortie, j’assistais au premier vernissage de ma première exposition personnelle à Nuithonie. C’était un truc de fou! D’autant que personne n’était au courant pour ma maladie, enfin je le suppose. Le foyer était à côté de chez moi. Je pouvais rentrer travailler et Nuithonie m’avait mis à disposition un studio pour réaliser mes grands formats.

Cette reconversion dans l’art, vous l’avez immédiatement imaginée?

Non. Cela a commencé quand j’ai suivi des cours dans le Jura, à Voiteur. Je découvre que la peinture m’allège, je ne pense plus à mes soucis. Puis, un jour, la prof qui est sculptrice m’écrit, en rentrant d’un stage, que j’ai quelque chose et que si je travaille je peux y arriver et qu’elle m’aidera pour mes expositions. Et là, je décide de la croire. C’était la seule chose positive dans ma vie à ce moment-là.

L’art, c’est quelque chose qui vous a toujours fait rêver?

Pas du tout! Je n’avais jamais dessiné. Mon oncle Bernard a favorisé cela. Il m’a inscrit à un stage de peinture de deux jours en banlieue parisienne lorsque j’avais 25 ans. Je n’avais jamais touché ni crayon ni peinture. La prof pensait que je faisais une école d’art. J’étais très flattée mais ça s’est arrêté là. Je m’étais tracé une route, je m’étais construit une route et ça m’allait bien ainsi.

Aujourd’hui, êtes-vous heureuse?

L’affirmer comme cela serait un peu compliqué. En revanche, ce que je peux dire, c’est que je n’ai aucun regret! Aujourd’hui, je suis ce que je suis vraiment. J’ai aussi eu la chance qu’on me donne beaucoup et que les choses arrivent à moi.

Exposition «Incontr-arti» (se rencontrer à travers les arts) au Port à Fribourg du 13 août au 10 septembre.

Au fond du bol, des merveilles

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