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Société

Un décor qui fait toute une histoire

Avec Ovide dans le Jura, le Château de Prangins présente un papier peint du XVIIIe siècle digne d’un roi

Un panneau tiré du décor des Métamorphoses, représentant Scylla et Minos, provenant de la maison paysanne de maître La Cibourg, dans le Jura bernois. Manufacture Arthur & Robert, Paris, après 1789. Impression à la planche.

24 février 2022 à 13:17

Exposition » Ce papier peint exceptionnel du XVIIIe siècle faisait tapisserie dans les réserves du château de Valangin. Il est désormais au cœur de la nouvelle exposition temporaire du Château de Prangins. Dans le futur, il sera même présenté de manière permanente dans un espace consacré aux trésors de l’institution. Passer d’un galetas au Musée national suisse semble être un changement radical. Mais c’est un joli clin d’œil quand on connaît le thème de ce décor: les Métamorphoses d’Ovide, évoquant des transformations bien plus étonnantes que le passage de l’ombre à la lumière, comme celle de Daphné devenant laurier pour éviter les assauts d’Apollon.

Ce revêtement mural vaut pour sa rareté – il n’en reste que cinq exemplaires en Europe et aucun n’est aussi complet que celui-ci – et la beauté de sa facture. Mais il permet aussi de raconter beaucoup d’histoires. D’abord la vie de l’homme qui a commandé ce joyau en 1795. Il dit également une région frontalière, puisqu’il était posé dans une ferme à La Cibourg, près de La Chaux-de-Fonds, jusque dans les années 1950. Finalement, cette exposition intitulée Ovide dans le Jura est l’occasion d’expliquer la fabrication des décors imprimés – une nouveauté au sommet de son art à l’époque – et de dévoiler les détails de leur restauration délicate. Par un heureux hasard de calendrier, ces deux derniers thèmes entrent en résonance avec la nouvelle exposition temporaire du Musée du papier peint à Mézières (lire ci-dessous).

Un contrebandier?

Mais déroulons l’histoire dans l’ordre. En 2011, la Société d’histoire et d’archéologie du canton de Neuchâtel donne au Château de Prangins, le site romand du Musée national suisse, ce papier peint de 15 mètres de long encore collé sur les panneaux en bois d’origine. Le nom de son commanditaire est connu: Charles-François Robert, un marchand de vin. Son importance historique et artistique aussi. Cependant, quelque chose intrigue.

Au cours de ses recherches, Helen Bieri Thomson, la directrice de l’institution vaudoise et la commissaire de l’actuelle exposition, se rend compte qu’une seule pièce de ce décor, une petite demi-lune (une lunette, selon la terminologie technique) au sommet de chaque panneau coûtait 15 livres au XVIIIe siècle. En extrapolant, elle peut estimer l’ensemble à 2000 livres, l’équivalent de cinq ans de salaire annuel d’un ouvrier d’une manufacture d’indiennes neuchâteloise. Faramineux. Encore plus fort, cette tenture est comparable, au niveau du prix, à un décor de papier peint posé au palais des Tuileries, à Paris, pour la reine Marie-Antoinette.

2000

En livres le prix payé à l’époque pour l’ensemble de ce papier peint

Comment diable un petit vendeur d’alcool suisse a-t-il pu se payer un tel luxe comme cadeau de mariage? Helen Bieri Thomson, avec l’assistance de Barbara Bühlmann, formulent alors une hypothèse plausible vu la situation géographique de la ferme de La Bise noire: Charles-François Robert était également contrebandier. Dans la région, il n’était pas rare de passer du sel, du tabac, des indiennes ou des liqueurs d’un côté à l’autre de la frontière, pour arrondir généreusement ses fins de mois.

Leurs recherches ont également permis de retrouver les descendants de Charles-François Robert, et donc de se plonger dans les archives familiales. Grâce à ces documents, ses divers trajets en France voisine ont pu être établis et un portrait plus précis de l’homme a pu être brossé, aussi au sens propre puisque la famille possédait encore une peinture représentant le marchand de vin et son épouse Eléonore vers 1797.

Un croquis valant décidément mieux que de longs panneaux explicatifs – et qu’un interminable article dans un journal – cette histoire lovée dans les collines jurassiennes est racontée en illustrations par Fanny Vaucher, dont Le siècle d’Emma a été désigné meilleure bande dessinée suisse en 2020 par Delémont’BD. Reproduits à l’entrée de l’exposition en grand format, ses dessins mettent des images sur la réalité de la vie à l’époque, placent quelques dialogues dans la bouche de ce jeune couple. Une agréable introduction avant d’aborder des questions plus techniques.

Un autre trésor

Ce décor mural est un mélange de deux types de pratiques: du papier peint en rouleau (le fond aux guirlandes florales colorées, comme on le voit sur l’image à gauche) et du papier en feuille (les scènes tirées des Métamorphoses, en grisailles). On pourrait grossièrement comparer cette méthode de pose à celle des albums Panini, les rouleaux représentant les pages du cahier toujours semblables tandis que les images, copiées sur des gravures d’une édition française d’Ovide, représentant les autocollants dont le sujet varie.

Mais ce trésor en cache un plus précieux encore. Un papier dit de «tapisserie» (pensé justement pour imiter cet art textile à moindres frais), plus ancien, se trouve sous les Métamorphoses. On en connaît peu d’exemplaires, un panneau retrouvé dans le manoir de Gottrau à Léchelles et exposé ici, donne cependant une idée de leur facture. Impossible toutefois de décoller les scènes tirées d’Ovide pour admirer le motif, au risque d’endommager les deux décors…

Ce parcours se termine bien sûr par la vision du salon de La Cibourg, la pièce étant remontée comme un puzzle en trois dimensions. Le visiteur y est immergé. Il imagine alors Charles-François Robert y buvant un verre de vin et se demandant ce qu’il pourrait bien ramener de sa prochaine escapade française…

» Jusqu’au 30 octobre au Château de Prangins.


Le Musée du papier peint à Mézières revient sur les coulisses de sa résurrection

Le château de Mézières s’offre un «making off» de sa restauration, pour marquer ses quinze ans d’existence.

Il y a l’écrin – le Musée du papier peint – ce «château» érigé à Mézières par un sire de Bonvillars, semble-t-il vers 1476. Il y a les diamants de l’écrin, ces papiers peints des XVIIIe et XIXe siècles commandés par la famille de Diesbach, qui avait acquis et transformé le lieu en résidence d’été. L’institution a pris pour habitude d’organiser des expositions temporaires, qui font toutes écho à ce joyau «exceptionnel et extraordinaire», note la directrice de l’institution, Laurence Ansermet. Mais on oublie parfois que l’écrin et ses flamboiements ont subi une rénovation «d’une envergure colossale», au tournant du XXIe siècle. Visible jusqu’au 5 juin prochain, l’exposition Un château aux petits soins propose une sorte de «making off» de cette résurrection, histoire de marquer le 15e anniversaire du musée, inauguré en octobre 2007.

L’exposition, conçue par la conservatrice Astrid Kaiser et le restaurateur d’art Olivier Guyot, procède par l’avant et par l’après, photographies à l’appui. Le parti pris: les travaux d’assainissement du château, entre 1994 et 1998, ont été oblitérés, au profit des restaurations des papiers menées par cinq ateliers spécialisés entre 2003 et 2007. On découvre ainsi les étapes de cette lutte méticuleuse contre la mérule pleureuse, les poissons d’argent, l’humidité et les outrages du temps.

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