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Société

«Susciter de l’agitation»

Le travail d’atelier de la plasticienne allemande Katharina Grosse fait l’objet d’une tonifiante rétrospective au Kunstmuseum de Berne


3 mars 2023 à 22:05

Beaux-arts » Elle a fait sensation, en apparaissant mercredi dans une spectaculaire combinaison, blanche d’un côté et noire de l’autre, séparant son corps dans une parfaite symétrie verticale. En mi-noir et mi-blanc (et en santiags astiquées), au milieu des journalistes conviés par le Kunstmuseum de Berne (KMB) à l’occasion de la rétrospective qu’il lui consacre, quelle meilleure tenue pour que Katharina Grosse détaille d’une belle voix grave l’importance viscérale des couleurs dans son travail? «Dans ma peinture, j’aspire à condenser les émotions et à susciter de l’agitation», prévient dans un entretien accordé au KMB l’artiste à la renommée internationale, connue pour envahir sols, murs, plafonds, mobilier, façades, de ses couleurs intenses appliquées au pistolet pulvérisateur.

 

«Imaginer quelque chose, c’est le réaliser» 
Katharina Grosse

 

Elle peut aussi investir un espace avec d’immenses tissus peints ou imprimés: l’an dernier en marge de la Biennale d’art de Venise, c’est d’un immense tissu constitué de milliers de mailles de laiton colorées qu’elle a paré un espace de la Fondation Louis Vuitton (Apollo Apollo). A Berne, l’accrochage ouvert depuis hier porte exclusivement sur son travail d’atelier, Katharina Grosse, Studio Paintings, 1988-2022. Un pan de son œuvre plus méconnu et pourtant passionnant.

Liée à la Suisse

L’exposition, forte de 43 tableaux de très grands formats non figuratifs, a été conçue par le Mildred Lane Kemper Museum de St. Louis, Missouri, où elle a été montrée jusqu’au 23 janvier dernier. Fraîchement débarquées des Etats-Unis, les œuvres ont été disposées à Berne en concertation avec l’artiste. Un projet, entamé en 2020, qui réjouit Nina Zimmer, la directrice du KMB. Car accueillir cette exposition à Berne tombe sous le sens pour elle: «Katharina Grosse est très liée à la Suisse, par les collectionneurs évidemment, mais aussi par l’art concret (théorisé par Max Bill, ndlr)», qu’elle affectionne. Et surtout, c’est à la Kunsthalle de Berne que la plasticienne allemande réalise en 1998 sa première œuvre in situ, en pulvérisant de vert une partie de l’intérieur du bâtiment…

Un quart de siècle plus tard, l’inspiration de Katharina Grosse ne s’est pas tarie. L’accrochage, divisé en deux parties (il faut commencer par le premier étage et finir au rez), n’est volontairement pas chronologique. En faisant dialoguer des toiles de différentes périodes, il souligne comment l’artiste développe sans relâche des éléments centraux pour elle – des couleurs apposées en jeux de transparence, des tons qui heurtent ou qui transportent (le visiteur éprouvera toutes sortes de sensations), des plans qui se mélangent en bousculant nos habitudes visuelles.

Si certains pourraient se sentir perdus par ces grandes surfaces où les couleurs s’épousent ou se battent, Katharina Grosse répond de la meilleure des façons: «La couleur est si importante pour moi parce qu’elle produit immédiatement une résonance. Avant que tu ne t’en rendes compte, tu y réagis instinctivement, comme lorsqu’une voix te touche lors d’une représentation théâtrale ou d’un concert, avant que tu ne comprennes les mots ou les paroles du chant.»

Condensé dramatique

C’est donc bien avec ses tripes qu’il faut déambuler. Au premier étage, on disparaît dans un très grand format horizontal, sans titre et datant de 2002, dans lequel l’artiste détourne le motif rigide de la grille pour le rendre sphérique. Au pinceau, les couleurs acryliques s’enmêlent et s’enchevêtrent, rouge, jaune, vert, bleu, sans qu’on ne parvienne bien à dissocier le dessus du dessous. Et si l’on reste suffisamment longtemps devant la toile, tous ces entrelacs pourraient bien se mettre à onduler… De sa phénoménale palette, Katharina Grosse dit: «Je ne mélange plus mes couleurs depuis de nombreuses années. J’utilise peut-être trois jaunes, trois rouges, trois verts, trois bleus, ainsi que quelques tons intermédiaires – généralement pour passer du froid au chaud, de l’opaque au translucide – et du blanc. C’est à peu près tout.»

Qualifiée de «penseuse fantastique de la peinture», par Kathleen Bühler, conservatrice en chef du KMB, la plasticienne allemande l’assure, pour elle, il n’y a pas de frontière entre la réalité et la peinture. «Imaginer quelque chose, c’est le réaliser. Mes œuvres sont des prototypes de ce constat; ils mettent à l’épreuve les propriétés de la réalité et les condensent de manière dramatique.» Eprouver le monde en couleurs, en lacérations parfois, en intégrant de la terre, des branches, des planches, au pinceau ou au pistolet, Katharina Grosse le fait sans barrières. Proche de l’art concret, elle emprunte aussi aux ready-made de Marcel Duchamp ou au street art. Bombes, pochoirs, murs directement recouverts, les échos ne manquent pas.

Au rez justement, ses œuvres au pochoir sont hypnotisantes. En s’approchant, ce sont des centaines d’univers qui se déploient sous nos yeux. Tensions de couleurs, limites de pochoirs, coulures, coulures épongées: les rythmes, les atmosphères et les plans varient sans cesse dans une richesse semblant infinie. De l’agitation à l’éternité, Katharina Grosse nous sauve de l’ennui.

Kunstmuseum Berne, jusqu’au 25  juin. Visites guidées en français le ma 11 avril à 19 h 30 et le di 4 juin à 11 h 30.
 


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