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Histoire vivante

La femme au foyer, mythe bourgeois

Le statut de ménagère est une pure «invention» du patronat remontant à la Révolution industrielle

Affiche vintage. L’«idéal» de la femme au foyer a été largement exploité dans la publicité.

27 août 2021 à 04:01

Temps de lecture : 1 min

Société » La femme au foyer est une pure invention de la bourgeoisie du XIXe siècle. Idéalisée à partir de la Révolution industrielle, promue par certaines organisations féminines à l’orée du XXe siècle, perçue comme un statut de réussite sociale jusqu’au début des années 1970, elle a en fait été largement exploitée par un patronat cherchant à contrôler le monde ouvrier et à maintenir la paix du travail. Analyse de l’historienne Pauline Milani, enseignante et chercheuse à l’Université de Fribourg.

Quand la terminologie de «femme au foyer» est-elle apparue et dans quel contexte?

Pauline Milani: La femme au foyer est un mythe. Selon ce mythe, la femme aurait toujours été au foyer et n’en serait sortie pour travailler qu’après la Seconde Guerre mondiale. En réalité, c’est plutôt le contraire qui s’est produit. Car les femmes ont toujours travaillé. Historiquement, le concept de «femme au foyer» s’est peu à peu imposé comme une norme bourgeoise au début du XIXe siècle. Dans l’ensemble des pays occidentaux, l’idéologie dominante prônée à l’époque était la séparation de la société en deux sphères: l’une publique dévolue à l’homme et au travail, l’autre privée impartie à la femme et au foyer. Cette vision dualiste, soutenue en particulier par la bourgeoisie et l’Eglise, ne correspondait pas du tout à la réalité, les femmes travaillant alors autant que les hommes. Seule nuance, observable en Suisse, elles travaillaient la plupart à domicile, pour l’industrie textile, pour l’horlogerie ou comme domestique.

Comment s’est développée cette nouvelle «norme bourgeoise»?

On peut distinguer deux époques caractéristiques. Il y a d’abord le passage à une société moderne, après les révolutions de la fin du XVIIIe siècle. Le sexe devient un grand facteur de division de la société, séparant le «citoyen actif» de la «citoyenne passive». Il y a ensuite la Révolution industrielle, au XIXe siècle, qui va transformer la structure du travail des femmes et affecter leur relation au travail. La tendance va être de sortir le travail artisanal du foyer pour le déplacer en usine, tandis qu’un mouvement migratoire se met en marche des campagnes vers les villes. Ces changements structurels, même s’ils ne changent rien aux quotas de travail des femmes, vont peu à peu inquiéter les patrons, qui voient dans la concentration de la classe ouvrière une menace potentielle. Pour que les femmes retournent à la maison, les bourgeois vont vanter l’idéal de la femme au foyer, mettant en valeur ses aptitudes de mère, d’éducatrice et de fée du logis. La loi sur les fabriques va aussi contribuer à ancrer cet «idéal» dans la réalité. Les femmes vont par exemple pouvoir quitter plus tôt l’usine pour préparer le repas… Pour les patrons, la sous-traitance à domicile était meilleur marché. Les femmes à la maison pouvaient aussi «canaliser» leurs époux pour qu’ils s’engagent moins en politique.

Comment les femmes vont-elles réagir à cet «idéal» imposé?

En fait, la plupart des femmes – plus de 50% en Suisse – vont continuer de travailler durant le dernier tiers du XIXe siècle, notamment dans l’industrie à domicile. Cela sans compter les petits emplois à temps partiel, non comptabilisés dans les statistiques. Parallèlement, elles assument les tâches ménagères, mais contrairement à ce qu’on imagine, les maris ne restent pas toujours les bras croisés, ce que confirment divers témoignages.

Les femmes réagissent-elles face aux pressions masculines?

Dès 1888, la Société d’utilité publique des femmes suisses tente de revaloriser le statut de femme au foyer. Très influente, elle demande que l’activité de ménagère soit reconnue comme un métier, souligne l’importance des femmes dans la résolution de problèmes sociaux – comme l’alcoolisme ou la dégradation des mœurs – et encourage la mise en place d’une formation d’économie domestique pour les jeunes filles. Des écoles professionnelles ménagères sont ouvertes et les échanges de filles au pair encouragés. D’autres mouvements plus féministes, surtout dans les années 1920, insistent sur le droit des femmes à travailler. Rappelons qu’à l’époque, les femmes mariées étaient sous tutelle de leur mari.

Le discours de la femme au foyer va connaître un nouveau souffle durant la crise des années 1930…

La crise économique va offrir un terrain fertile pour une offensive contre le travail des femmes. Alors que le chômage monte, il paraît naturel de renvoyer les femmes à la maison pour libérer la place aux hommes. En Suisse, les institutrices seront particulièrement visées. Dans les administrations, une quarantaine de dispositions légales remettront en cause le travail féminin, dans le but par exemple d’empêcher les doubles salaires dans le couple. Dans la loi fédérale sur le statut des fonctionnaires de 1927, le mariage peut être considéré comme un motif de licenciement.

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