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Société

Je et un autre

Dans le cadre de la Semaine contre le racisme, le Musée d’art et d’histoire de Fribourg présente l’exposition Nous et les Autres. Une base pour amorcer le dialogue. Elle est enrichie de nombreux événements

Couleur de peau, religion, niveau socio-économique: nous catégorisons les gens que nous croisons, comme le montre un film projeté au MAHF (image de droite).

17 mars 2022 à 19:01

Temps de lecture : 1 min

Discussion » Elle, c’est clairement une bobo. Lui, à voir ses habits, il est musulman. Cet homme-là, par contre, est asiatique. Les scènes de rue, de transports en commun, montrent des groupes de personnes sur lesquelles on colle des étiquettes, pour les distinguer ou les rapprocher de soi. Je et un autre, pourrait-on dire, en s’inspirant vaguement de Rimbaud. Couleur de peau, religion, niveau socio-économique: sans nuance, on labellise les gens. Mais que se passe-t-il quand on les réduit à une seule caractéristique? Et qu’elle suinte de clichés? Qu’est-ce que cela signifie quand tous leurs actes et leurs pensées sont compris à travers le prisme de cette unique caractéristique?

Ces questions sont soulevées dans le court film introductif à Nous et les Autres – des préjugés au racisme. L’exposition est présentée au Musée d’art et d’histoire de Fribourg (MAHF) dès ce vendredi, alors que débute la 11e Semaine contre le racisme, le rendez-vous annuel de l’Etat pour marquer son engagement contre la discrimination raciale. Créé par le Musée de l’homme à Paris, cet accrochage a été repensé dans sa forme et son fond pour s’adapter au contexte suisse et particulièrement fribourgeois. Un travail que l’institution a effectué en collaboration avec le Bureau de l’intégration des migrant-e-s et de la prévention du racisme (IMR). Nourri par de nombreux panneaux explicatifs et de vidéos, il sera le support idéal pour lancer les discussions auprès des adultes et surtout des plus jeunes. Un petit carnet de découverte, destiné aux 15-19 ans, leur permettra notamment d’aborder le thème de manière didactique et d’emporter leurs réflexions à la maison.

L’exposition s’intéresse tout d’abord aux mécanismes du racisme, en commençant par clarifier quelques notions. Les idées toutes faites sur les personnes, selon leur sexe, leur carnation ou leur religion, se divisent ainsi en stéréotypes positifs (les Noirs savent super bien danser, les Asiatiques sont très forts en mathématiques, par exemple) et en préjugés, des stéréotypes négatifs (les femmes sont moins aptes à assumer des postes de direction, par exemple). En se basant sur ces idées reçues, on commence à hiérarchiser les êtres, à en discriminer certains, à modifier les rapports de pouvoir. Un phénomène qui n’a rien de neuf.

 

En se plongeant dans l’histoire, on observe que si la Suisse n’a pas eu d’empire colonial, certains de ses habitants ont contribué à la colonisation en Amérique, en Australie, en Afrique. L’exposition souligne également l’attitude du pays lors de la Seconde Guerre mondiale, et notamment le refoulement de 24’000 Juifs à nos frontières. Sans oublier que l’accord helvético-germanique a abouti à l’ajout du «J» sur leurs passeports pour les distinguer plus facilement des autres Allemands.

Mais la nation à croix blanche n’a pas non plus été irréprochable (et le mot est faible) avec ses propres ressortissants: entre 1926 et 1972, de nombreux Yéniches, des gens du voyage suisses, se sont vu retirer leurs filles ou leurs garçons sous le prétexte qu’ils n’étaient pas aptes à les élever. Plus de 600 enfants sont concernés. Un drame que le film Unerhört Jenisch de Karoline Arn et Martina Rieder, avec Stephan Eicher, avait contribué à faire connaître au public il y a cinq ans.

Atelier chocolat

Avant de plonger dans le dossier des luttes contre le racisme, le visiteur se rappellera que les stéréotypes raciaux sont une pure construction de la société: génétiquement parlant, il n’y a qu’une seule race humaine.

L’exposition, visible jusqu’au 8 mai, est le fil rouge de nombreux événements permettant d’aborder la question de l’autre et du racisme via des disciplines variées et avec de nombreux partenaires. Les activités ont lieu parfois en français, parfois en allemand, et parfois en bilingue. Pour n’en citer que quelques-unes: une «librairie humaine» offrira de discuter avec des personnes exposées à la discrimination au quotidien, des ateliers et dégustations autour du chocolat évoqueront autant les vaches que les images coloniales, Licia Chery viendra parler de ses ancêtres lors d’un entretien et d’une dédicace de son récit autobiographique Noir en couleurs, un atelier proposera même de broder contre le racisme. En parallèle, d’autres rendez-vous entreront en résonance avec la thématique, comme le Café scientifique qui se penchera particulièrement sur le thème du colonialisme à Fribourg (lire ci-contre) ou l’exposition Naturalisation du Musée gruérien, à Bulle, qui démarrera le 3 avril.

Jusqu’au 8 mai au Musée d’art et d’histoire de Fribourg. Programme sur le site www.fr.ch 


«Nous avons participé au colonialisme»

Fribourg colonial – passé et présent. Le titre du Café scientifique organisé le mercredi 13 avril au Nouveau Monde met en lumière cet héritage historique pour mieux envisager l’avenir. Linda Ratschiller, assistante docteur au Département d’histoire contemporaine, est une des intervenantes de cette discussion.

La Suisse semble s’emparer depuis peu des sujets du racisme et du colonialisme…

Linda Ratschiller: C’est vrai que les études historiques sur ce sujet se sont multipliées ces dix dernières années, surtout grâce à de nouvelles perspectives qui ne limitent pas le colonialisme à un rapport de domination politique. Quelques ouvrages publiés dans les années 1950 et 1960 montraient déjà que la Suisse en a profité sur le plan économique. En outre, cela fait au moins 20 ans que l’on sait que des Suisses ont aussi participé à la traite des esclaves. Sont venues s’y ajouter des études qui ont illuminé les dimensions sociales et culturelles du colonialisme. Depuis le mouvement Black Lives Matter, il y a encore eu une prise de conscience accrue. Le problème est que le sujet n’a pas encore suscité l’attention d’un plus grand public, c’est pourquoi une initiative comme le Café scientifique est si importante. Il faut, par ailleurs, que les imbrications coloniales de la Suisse fassent partie du plan d’étude des écoles, pour lancer un débat plus large. Dans le contexte de la Semaine contre le racisme, il est indispensable d’illuminer les liens entre la Suisse et le colonialisme pour comprendre les origines du racisme actuel. Le but n’est pas de montrer du doigt telle personne ou telle institution, mais de comprendre notre société et ses structures sous-jacentes.

Le sujet est-il occulté parce que notre pays n’a pas été une puissance coloniale mais que seuls des particuliers et des entreprises ont pris part à ces activités?

Oui, c’est la thèse de l’innocence: la Suisse ne peut pas être raciste car elle n’a pas participé à l’esclavage et à l’impérialisme. Mais c’est un mythe. Nous avons participé à ce projet du colonialisme sur tous les niveaux: militaires, scientifiques, religieux, culturels, économiques… Des institutions et des structures en Europe, y compris en Suisse, qui y ont pris part, sont toujours actives. Les traces de cette implication coloniale se ressentent jusqu’à aujourd’hui, notamment dans nos notions de «soi» et de «l’autre».

Voit-on des traces du colonialisme dans l’architecture de la ville?

Très peu, si ce n’est dans les noms de certaines rues et dans quelques endroits aujourd’hui disparus, comme un magasin de produits coloniaux qui existait sur Pérolles. Mais il y a encore énormément de recherches à effectuer. Neuchâtel a fait un important travail sur son histoire (lire ci-contre) et des villes proposent des promenades pour se rendre compte de ce passé. Ce qui différencie Fribourg des autres villes de Suisse est le petit nombre de traces visibles de l’esclavage.

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