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Histoire vivante

Migration. Réfugiés climatiques, l’éternel défi

Avec le changement climatique, les déplacés se comptent déjà par millions. Le XXIe siècle s’annonce «nomade»

Une réfugiée climatique et son enfant dans un camp du Jubaland. En 2022, la Somalie a subi la pire sécheresse depuis 40 ans, poussant 1,1 million d’habitants à se déplacer. © Keystone

29 février 2024 à 20:05

«Nous sommes tous des réfugiés climatiques!» La formule choc lancée en 2018 par l’économiste Jeffrey Sachs, directeur de l’Institut de la Terre à l’Université Columbia (NY), n’est pas qu’un avertissement face à la multiplication des catastrophes naturelles découlant du réchauffement de notre planète. Elle n’est pas qu’un cri d’alarme, alors que le nombre des déplacés environnementaux ne cesse d’augmenter depuis une décennie, franchissant un nouveau record de 32,6 millions en 2022, selon le Rapport mondial sur le déplacement interne 2023. Non, cette déclaration «coup de poing» est aussi un message d’espoir. Car elle nous rappelle nos origines nomades, cette nature humaine profonde qui nous a permis de survivre aux aléas climatiques les plus extrêmes durant des millénaires.

Depuis la nuit des temps, l’Homo sapiens n’a cessé de migrer au gré des conditions climatiques. Il commence par «sortir d’Afrique», selon l’expression consacrée, profitant d’épisodes de pluviométrie favorables où le Sahara prend des allures de savane. Il passe le détroit de Bab-el-Mandeb vers la péninsule Arabique, rejoint d’abord l’Inde, le Sud-Est asiatique et l’Australie. Il y a 45 000 ans, il colonise l’Europe et le nord de l’Asie, puis franchit le détroit de Béring à sec il y a environ 20 000 ans, atteignant le Nord-Ouest américain grâce au bas niveau des mers de l’âge glaciaire. Son expansion planétaire s’achève il y a 15 000 ans aux confins de l’Amérique du Sud.

«La migration ne doit plus être le problème, mais la solution»
Gaia Vince

«Plus récemment, l’assèchement du Sahara et de la péninsule Arabique aurait poussé les populations à se regrouper sur les bords du Nil et, en favorisant la densité, contribué à la naissance de la civilisation égyptienne antique», explique le géographe Etienne Piguet, professeur à l’Université de Neuchâtel, dans l’Atlas des migrations dans le monde (Ed. Armand Colin, 2022). Les premières traces de sédentarisation humaine remontent à environ 9000 ans av. J.-C. dans le Croissant fertile.

Migrations massives

Durant le dernier millénaire, les mouvements de migration environnementale concordent avec les périodes défavorables à l’agriculture. On les observe lors des refroidissements du «petit âge glaciaire», mais aussi au XIXe siècle. L’émigration vers les territoires coloniaux apparaît alors comme «une soupape permettant aux sociétés européennes de limiter les conséquences néfastes des aléas climatiques», commente le professeur Piguet. Ce fut le cas lors de la terrible disette de «l’année sans été» de 1816, après l’explosion du volcan indonésien Tambora. Ou lors de la famine irlandaise des années 1845 à 1852, attribuable à la perte des récoltes de pommes de terre due à une pluviométrie excessive favorisant le mildiou, mais aussi à la politique impériale anglaise.

Au XXe siècle, ce sont les vagues de sécheresse des années 1930 dans les grandes plaines de l’Oklahoma, du Kansas et du Texas, connues sous le nom de Dust-Bowl, qui, combinées à la Grande Dépression, ont poussé des centaines de milliers de migrants vers la Californie. Et au Sahel, des millions de paysans et de nomades ont dû fuir vers les villes, dans les années 1970 et 1980, face à la désertification de la région.

Inondations et sécheresse

Aujourd’hui, les craintes émises à la fin du XXe siècle par le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) se confirment avec des déplacements internes liés au climat qui dépassent les migrations déclenchées par les conflits et la violence (53% contre 47%). Selon le Rapport 2023 de l’Observatoire des situations de déplacement interne (IDMC), le phénomène a été enregistré «dans 148 pays et territoires, à une échelle jamais vue auparavant dans beaucoup d’entre eux».

Les cinq pays affichant le plus grand nombre de déplacés environnementaux sont le Pakistan (8,1 millions), les Philippines (5,4 millions), la Chine (3,6 millions), l’Inde (2,5 millions) et le Nigeria (2,4 millions). Les causes des déplacements internes sont principalement les inondations (60%), suivies par les tempêtes (30%) et les sécheresses (7%). Selon la Banque mondiale, 216 millions de personnes risquent de devoir migrer à l’horizon 2050. Les pays défavorisés, comme la Somalie ou le Bangladesh, sont particulièrement vulnérables. A noter que la Convention de Genève de 1951 ne protège pas les réfugiés climatiques.

Un «siècle nomade»

Il y a pourtant urgence. Dans son ouvrage «Le siècle nomade» (Das Nomadische Jahrhundert, E. Piper, 2023), la journaliste scientifique britannique Gaia Vince avertit que si les températures s’élèvent globalement de 2 oC, au moins 136 mégapoles seront inondées et les dégâts totaliseront 1,4 milliard de dollars par an à la fin du siècle. A chaque centimètre supplémentaire d’élévation des mers, 1,7 million de personnes seront obligées de quitter leur foyer.

Pour la spécialiste environnementale, la solution passe par un changement de paradigme: «La migration ne doit plus être le problème, mais la solution.» L’Australie l’a compris, qui a annoncé en novembre dernier offrir l’asile climatique aux habitants de l’Etat des Tuvalu au rythme de 280 personnes par an, dans un premier temps, anticipant la disparition de leur archipel en raison du réchauffement climatique.

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