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Histoire vivante

Mistinguett, une espionne de charme en Suisse

Nid d’espions, la Suisse a aussi été un nid d’espionnes durant les conflits du XXe siècle. Parmi ces Mata Hari qui ont opéré dans notre pays, la célèbre meneuse de revues Mistinguett s’est particulièrement distinguée.

Mistinguett au Moulin-Rouge, en 1911. Derrière les plumes se cachait une valeureuse espionne. © DR

28 décembre 2023 à 21:00

Temps de lecture : 1 min

Services secrets » Spécialiste du renseignement, l’historien français Bruno Fuligni a été frappé par l’émergence des femmes dans l’univers très masculin de l’espionnage. Dans son encyclopédie chronologique Le fichier mondial des espionnes1, premier ouvrage illustré sur ce sujet, il s’est intéressé au destin de 65 de ces combattantes, «intelligentes et courageuses», devenues parfois célèbres comme Mata Hari ou Anna Chapman, mais souvent restées dans l’ombre. Plusieurs d’entre elles ont mené des missions en Suisse, dont l’étoile du music-hall aux «belles gambettes», Mistinguett, alias Jeanne Bourgeois, qui a contribué à la victoire de la France sur l’Allemagne en 1918.

A vous lire, Mistinguett serait devenue espionne en Suisse par amour pour Maurice Chevalier?

Bruno Fuligni: A partir de 1911, Mistinguett connaît un grand succès avec La valse renversante, un numéro où elle danse follement avec Maurice Chevalier, le couple finissant enroulé dans un tapis! Lorsque la guerre de 1914 éclate, c’est le drame: le célèbre chanteur est fait prisonnier en Allemagne. Mistinguett, qui est invitée en Suisse par un ancien amant, le prince prussien de Hohenlohe, propose alors ses services au cabinet du général Joffre. «Je suis prête, si vous le jugez utile, à le revoir et éventuellement à vous renseigner sur ce que je pourrais apprendre», déclare-t-elle, demandant en retour une aide pour la libération de Maurice Chevalier. L’artiste au canotier sera rapatrié en 1916 grâce à l’entremise du roi d’Espagne, dont Mistinguett était aussi très proche. L’histoire est romanesque: une femme qui se glisse dans le lit d’un prince prussien, et peut-être d’un roi, pour libérer l’homme qu’elle aime et, au passage, renseigner les services secrets français!

Dans ses mémoires, Mistinguett reste vague sur ses missions en Suisse…

Elle donne peu d’informations et ne nomme personne. Elle précise juste qu’elle loge à l’hôtel Beau-Rivage, à Genève. Vedette très connue, elle semble s’amuser de ces espions qui s’entrecroisent dans les palaces helvétiques. Elle fait en revanche état d’une aventure étonnante, vécue lors d’un voyage vers la Suisse. Alors qu’elle conduit une automobile grise, elle est confondue avec une espionne allemande signalée par la police française. Arrêtée, elle est fouillée et déshabillée: «On m’enduisit le corps d’une espèce de pâte au citron. Les deux mégères chargées de l’opération ne trouvèrent aucune trace d’encre sympathique sur ma peau. On me relâcha», écrit-elle dans Toute ma vie (1954).

Au-delà de l’anecdote, Mistinguett va fournir des informations déterminantes pour la France…

Oui, on l’apprend du général Gamelin, qui était officier d’ordonnance auprès du général Joffre en 1915. Son rapport secret a été déposé aux Archives de l’armée en 1956, au lendemain de la mort de la chanteuse de music-hall. Ce document, que j’ai eu entre les mains, est très précieux. Gamelin explique qu’en allant voir son prince prussien en Suisse, Mistinguett a pu non seulement glaner des informations sur diverses personnalités, mais aussi, incidemment, apprendre que les Allemands allaient tenter une contre-offensive en 1918 en Champagne, et non dans la Somme, comme l’attendaient les Français. Informés dès le mois de juin, ils ont eu le temps de se mettre en ordre de bataille pour contrer l’offensive, qui a eu lieu le 15 juillet. Avec cette information, Mistinguett a joué un rôle historique, contribuant à la victoire française. Si elle n’a jamais été décorée, c’est peut-être que son action est restée longtemps trop «sulfureuse» pour l’état-major français.

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