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Fribourg aide à «noircir» Wikipédia

Fribourg propose un atelier visant à combler le manque de références afro-descendantes sur Wikipédia


14 mars 2023 à 18:46

Temps de lecture : 1 min

Fribourg » Wikipédia, votre béquille quand vous cherchez rapidement réponse à une question de culture générale pour avoir raison de vos interlocuteurs ou encore, la bouée de sauvetage – sinon l’outil de prédilection – de l’étudiant qui n’aurait pas préparé son exposé. Mais qui sont ces auteurs masqués à l’origine de plusieurs millions d’articles qui vous ont si souvent sauvé la mise. Dans 90% des cas, des hommes blancs vivant dans un pays du Nord à majorité chrétienne, nous apprend le collectif genevois Noircir. Souhaitant affranchir nos consciences des biais «eurocentrés», cette association a pour ambition de «combler les lacunes de références sur la culture et les personnalités de la diaspora africaine et afro-descendante sur l’encyclopédie en ligne», autrement dit de «noircir» Wikipédia, comme le suggère l’intitulé du projet.

«Certaines activités de la ville s’adressent à des publics particuliers»
Camille Mottier

Concrètement, l’association organise des ateliers participatifs en ligne ou en présentiel dans des bibliothèques ou des universités. En mars, ces ateliers s’inviteront aussi à Fribourg à MEMO – biblio & ludo+ dans le cadre d’un programme culturel intitulé «On fait la paix». Celle-ci s’inscrit dans le budget spécifique qu’a débloqué la ville pour soutenir des activités visant à favoriser l’intégration des Ukrainiens. Thématique que MEMO a souhaité élargir à la question de l’exil en général, révèle Camille Mottier, médiatrice culturelle de la bibliothèque, ce qui explique la présence du collectif Noircir.

Une démarche politique

A en croire les membres de l’association, parmi les contributeurs de la version francophone de Wikipédia, 78% viennent de France, alors que seuls 30% des francophones sont issus de France contre 59% d’Afrique. Souhaitant «rééquilibrer un peu la balance», le collectif veut revaloriser certaines vérités oubliées de l’histoire. Une démarche à trait politique que les animatrices semblent assumer, comme le révèle un reportage de la RTS diffusé en mars 2021. «Ne pas vouloir inclure dans les encyclopédies des connaissances et des savoirs d’autres parties du monde est un acte politique», affirmait alors Ivonne Gonzalez, fondatrice du projet, «dès lors, si faire de la politique, c’est vouloir casser ce mur, nous faisons bel et bien de la politique».

Un projet d’intérêt public

Il n’empêche que la question se pose: un atelier qui a pour ambition de «créer une communauté transnationale de contributeurs africains et afrodescendants» ou encore de «transmettre et sensibiliser à la connaissance de la mémoire culturelle et intergénérationnelle africaine» s’adresse-t-il à tout le monde? Sinon, pourquoi en faire une affaire publique? «Certaines activités de la ville s’adressent à des publics particuliers», soutient Camille Mottier, qui rappelle par exemple que les contribuables qui n’ont pas d’enfants ne sont pas invités à participer à «l’éveil musical», un atelier MEMO destiné aux enfants en bas âge.

D’ailleurs, cet atelier a été approuvé par la hiérarchie, à savoir Natacha Roos, cheffe de service de la culture, et Laurent Dietrich, conseiller communal en charge de la culture et des finances. «L’atelier ne doit pas être considéré isolément», affirme l’élu. «L’initiative s’inscrit dans un ensemble d’activités proposées par la ville qui abordent des thématiques à portée nationale, voire internationale, telles que l’inclusion, la médiation, la ségrégation, le genre, etc. Ainsi, l’atelier trouve tout son sens comme projet d’intérêt public.»

78%

La part de contributeurs français de la version francophone de Wikipédia, bien que 59% des francophones viennent d’Afrique. 

En outre, Camille Mottier souligne le fait que l’histoire suisse sera abordée lors de l’événement. «L’intention de cette initiative n’est pas de dénoncer les méfaits du «mâle blanc», ni même de faire de la discrimination positive, mais plutôt de procéder à une déconstruction de l’histoire nationale pour en révéler les zones sombres», précise-t-elle. Et d’ajouter que ce projet rappellerait celui de la ville de Neuchâtel qui a fait un retour sur son passé colonial via une exposition permanente au Musée d’art et d’histoire ou encore le Wikithon féminin réalisé il y a trois ans pour revaloriser l’histoire des femmes fribourgeoises. Sous cet angle-là, l’atelier «Noircir Wikipédia» concernerait tout le monde, estime la médiatrice.

Et les autres?

Et que faire des autres minorités sous-représentées? Admettre un tel atelier dans l’agenda culturel de la ville n’est-ce pas favoriser une communauté au détriment des autres? Ce à quoi la bibliothèque répond en démentant tout soupçon de favoritisme. «Le choix de cet atelier est dicté par le fait que Noircir Wikipédia est établi depuis plusieurs années et a dès lors plus de visibilité», précise Camille Mottier. «Il n’y a pas de préférence pour les enjeux des communautés afro-descendantes ou de volonté de discriminer», poursuit-elle.

«Il n’y a pas de préférence pour les enjeux des communautés afro-descendantes»
Camille Mottier

A noter aussi que la bibliothèque se dit «limitée» dans la connaissance qu’elle a des associations communautaires existantes, du fait que la médiation culturelle n’existe que depuis deux ans à MEMO. Dès lors, elle souhaite mettre à contribution des associations de personnes concernées afin de «leur donner la voix», ajoute-t-elle.

Commentaire: et pourquoi pas gruérianiser Wikipédia?

Sans doute pourrait-on saluer une entreprise qui souhaite réhabiliter les mérites d’une histoire oubliée ou encore offrir des références culturelles et historiques à une diaspora africaine et sa descendance qui, visiblement, semblent en manquer. Car, au vu de la diversité grandissante de nos sociétés, malgré toute la richesse qu’on peut légitimement lui reconnaître, force est de constater que celle-ci ne s’obtient pas sans prix. Dans ce «grand mélange» les appartenances s’effritent, de sorte à retirer aux personnes les repères culturels sur lesquels jadis l’on s’appuyait pour s’orienter dans l’existence.

Les afro-descendants ne sont pourtant pas seuls à manquer de repères. A l’heure où chacun est en constante recherche de soi, voulant en permanence se réinventer, changer de vocation (sinon de partenaire) l’enjeu n’est plus tant de recevoir un héritage à partir duquel «s’orienter dans l’existence» – quitte à s’en détourner à terme pour s’orienter vers un avenir plus juste – mais de le déconstruire avant même de l’avoir reçu, dans un esprit qui se veut systématiquement «critique». Et cela au profit de l’affirmation de soi dans toute son autonomie. «Etre maître de son destin», comme on dit. Sauf que c’est encore en français qu’on le dit, langue que l’on n’a pas choisie, mais bel et bien reçue. Dès lors, quelle place pour l’héritage, l’identité, la culture? Termes aujourd’hui réservés aux «boomers», dit-on. La question de l’héritage culturel ou national ne peut-elle se poser indépendamment d’une fierté identitaire fermée sur elle-même? Un collectif gruérien voulant gruérianiser Wikipédia pourrait-il lui aussi faire valoir sa soif de repères sans être taxé de fascisme, sous prétexte de ne pas être une «minorité»? Reste à savoir si la ville de Fribourg serait prête à accueillir un tel projet, tel qu’elle a pu le faire si généreusement pour mes semblables. RK


Trois questions à Gala MayÍ-Miranda

Gala MayÍ-Miranda, cofondatrice du projet «Noircir Wikipédia», répond à nos questions.

L’atelier est-il ouvert à tous?

Toute personne souhaitant apprendre à contribuer à l’encyclopédie en ligne dans le cadre du projet «Noircir Wikipédia» est la bienvenue.

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