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Dossier spécial Qatar

Géopolitique. le petit Qatar joue comme les grands

Organisateur, médiateur, influenceur: le richissime, autoritaire et cachottier émirat du golfe Persique compte sur les retombées de la Coupe du Monde (CDM) sans négliger d’autres stratégies de géopolitique mondiale

Après un long blocus de ses voisins et la pandémie, l’Emirat profite plus que jamais de sa position stratégique dans le Golfe persique, ménageant l’Iran avec qui il partage un gisement de gaz et comptant sur les Etats-Unis pour un appui militaire.

11 novembre 2022 à 19:31

Temps de lecture : 1 min

Golfe Persique » Situé entre les deux géants que sont l’Iran et l’Arabie saoudite, le petit émirat du Qatar joue intelligemment sa carte géopolitique. Même si des scandales ternissent l’opération de communication, l’organisation de la Coupe du monde (CDM) lui donne l’occasion de briller parmi ses grands voisins. Après la pandémie aux effets économiques néfastes, l’événement est plutôt bienvenu pour un pays qui a subi un pénible blocus des frontières de plus de deux ans et demi terminé en janvier 2021.

Les soutiens apportés par Doha aux mouvements du Printemps arabe dont celui des Frères musulmans en Egypte et le rapprochement avec l’Iran ont un temps fâché les autres monarchies du Golfe, Arabie saoudite en tête. Les explications de Hasni Abidi, politologue spécialiste du monde arabe à l’Université de Genève.

Le Qatar cherche-t-il par tous les moyens à conquérir une notoriété au sein des pétromonarchies du Golfe?

Hasni Abidi: Pas seulement dans le Golfe mais à l’échelle mondiale. Après son obtention mouvementée (cf ci-dessous, ndlr), la CDM de football n’est que l’un de ces outils même si cet événement révèle une part ambiguë de son fonctionnement. Un autre levier est celui de la médiation. Doha se montre disponible pour négocier lors d’enlèvement d’otages. C’est grâce à l’intervention de l’émir Cheikh Hamad ben Khalifa Al Thani, père de l’actuel émir Tamim ben Khalifa Al Thani, que Silvia Eberhardt, enseignante zurichoise enlevée au Yémen le 13 mars 2012 par al-Qaïda, a été libérée en 2013. Selon la presse qui a relaté l’événement, une rançon aurait même été payée en partie par le Qatar. L’émirat a réussi là où sa puissante voisine, l’Arabie saoudite, avait échoué. Lors de l’affaire des infirmières bulgares retenues en otage en Libye, c’est encore une fois le Qatar qui est intervenu. Avec succès.

Comme la Suisse, ce pays vise-t-il à assurer de «bons offices» pour certains Etats?

Dans ces dossiers délicats de politique étrangère, l’émirat s’inspire de la diplomatie suisse. Notre pays l’a du reste toujours séduit. Même avant la création de l’Etat qatari en 1971, la famille régnante – les Al Thani – avait des possessions dans notre pays. C’est dire l’intérêt du Qatar pour la Suisse. A noter qu’il n’impose pas la création de centres islamiques, comme l’Arabie saoudite. Le Qatar a ainsi renoncé à financer un centre contesté à La Chaux-de-Fonds.

Le fonds souverain du Qatar sert-il d’accélérateur à cette stratégie géopolitique?

Oui. Le Qatar Investment Authority (QIA), avec quelque 500 milliards de dollars sous gestion, est un outil capital. Il est bien sûr alimenté par les recettes du pétrole mais surtout du gaz naturel liquéfié (GNL) provenant du plus grand gisement de gaz naturel au monde. Découvert en 1971 par Shell et baptisé North dome, il est situé entre l’Iran et le Qatar et ces deux pays se partagent intelligemment ses richesses. Vers 1996-1997, le Qatar a été cependant le premier à se doter d’infrastructures de transformation du gaz naturel en GNL et de méthaniers, bateaux capables d’assurer le transport. Très précieux à l’heure où l’Europe doit remplacer le gaz russe qui commence à manquer!

Peut-on dire que la création de la chaîne Al-Jazeera est un coup de génie?

Financée par la rente gazière, cette chaîne d’info est un autre instrument d’influence. Al-Jazeera, «l’île» en arabe, compte plus de 25 millions de téléspectateurs dans la région Moyen-Orient et Afrique du Nord. Elle a été fondée par le père de Tamim, Hamad ben Khalifa Al Thani, pour servir le «soft power» du pays. En 2011, Al-Jazeera Sports a donné naissance à la très connue BeIn Sport, présidée par l’ancien tennisman, homme politique et homme d’affaires, Nasser Al-Khelaïfi, PDG du Paris Saint-Germain. Plus que jamais à l’heure de la CDM, cette chaîne rayonne à travers le monde et permet au Qatar d’exister sur le plan régional comme international.

Soutien des mouvements du Printemps arabe, le Qatar s’est-il assagi depuis sa réconciliation avec l’Arabie saoudite en janvier 2021?

Vu sa position géographique, ce pays peut difficilement aller contre les intérêts de l’Arabie saoudite, son grand rival. Son régime n’a du reste pas condamné l’assassinat de l’opposant saoudien Jamal Khashoggi en 2018 par les hommes de main de MBS tout en lui accordant une large couverture médiatique… L’émirat était pourtant la cible d’un blocus de la part de ce grand voisin. La dureté de cette sanction qui a été levée en janvier 2021 a encore été accentuée par la pandémie.

L’émirat est-il toujours le principal allié des Etats-Unis dans le Golfe?

Oui. Pour les Etats-Unis, et le président Joe Biden l’a rappelé, le Qatar est une position stratégique. Ils y possèdent un dépôt de munition et une base aérienne militaire utilisée par l’Otan. Mais il est vrai que la Turquie a installé depuis 2015 une base militaire dans la presqu’île qatarie, ce qui déplaît encore une fois à l’Arabie saoudite. La Turquie cherche entre autres à consolider son approvisionnement en gaz naturel. Déjà sous le père de Tamim, le Qatar s’est ouvert à d’autres pays, comme la France. Il a même obtenu le statut de pays observateur de la Francophonie. Doha abrite deux lycées français et une chaîne de radio francophone.

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