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Culture

Art textile. tissages en liberté

Deux expositions explorent le textile sous toutes ses coutures, à commencer par le MCBA, qui consacre une rétrospective à Magdalena Abakanowicz

Vue d’une série d’Abakans installés dans l’exposition Magdalena Abakanowicz. Territoires textiles au Musée cantonal des beaux-arts de Lausanne.

5 août 2023 à 04:01

Lausanne » C’est un choc d’arriver au dernier étage, d’admirer ces immenses Abakans suspendus, impressionnants, intimidants même, sculptures textiles et monumentales de plusieurs mètres de haut et de large. On comprend bien qu’ils sont l’aboutissement d’une démarche artistique exposée dans les salles précédentes du Musée cantonal des beaux-arts de Lausanne, mais l’effet reste extrêmement saisissant. La force du travail de Magdalena Abakanowicz pèse encore de tout son poids – et l’on admire celui qu’elle a dû porter pour appondre les différents éléments tissés de ces géants.

Hors cadre

Ce parcours rétrospectif consacré à l’artiste polonaise décédée en 2017 et réuni à l’enseigne des Territoires textiles suit sa carrière internationale dès 1962, première année où elle est représentée à la Biennale internationale de la tapisserie de Lausanne. Dès cette époque, ses œuvres, qui jouent déjà davantage avec la matière, la structure, le relief, l’épaisseur du fil tissé ou noué, plutôt qu’avec le motif, prennent des libertés. Si elles peuvent encore entrer dans le genre de la tapisserie, la transformation est à l’œuvre: les fils naturels de sisal, de laine, de chanvre ou de lin déborderont bientôt du cadre, pour se superposer en volumes, en trois dimensions et enfin en Abakans sculpturaux. On aurait envie de toucher et pas seulement de regarder ces grands formats, d’autant qu’il y a des irrégularités, des crins qui pendent, des franges voire des cordes, déjà, qui deviendront plus tard monumentales…

Les couleurs sont intenses, souvent profondément noires et sombres, le rouge est sauvage, ou alors les fils sont laissés bruts, beiges. Les formes aussi évoluent: du rectangle sage on passe à la rondeur enveloppante du nid, que Magdalena Abakanowicz peint aussi en dessins et peut-être en fœtus dans des utérus. C’est la touchante série des Embryologies, dont la métaphore de la transformation traverse son œuvre. Le corps humain sert également d’inspiration à des séries de têtes et de dos, échines courbées, façonnés à partir de jute – qui est aussi une fibre – rigidifiée par de la résine (de la colle): des corps fragmentés en mémoire des horreurs et des mutilations de la guerre.

Cicatrices

Cet accrochage réalisé en collaboration avec la Tate Modern de Londres et le Centre d’art Henie-Onstad au sud d’Oslo est aussi remarquable parce qu’une galeriste lausannoise, Alice Pauli, et son mari Pierre Pauli, commissaire de la Biennale, ainsi que les mécènes et collectionneurs Marguerite et Pierre Magnenat ont reconnu le talent de l’artiste et ont acheté des œuvres. Leurs dons sont réunis au sein de la fondation vaudoise Toms Pauli, spécialisée dans les arts textiles et installée au MCBA.

«Elle crée une nouvelle forme d’expression artistique qui défie toute catégorisation»

Pour l’institution, Magdalena Abakanowicz transforme la manière de percevoir la tapisserie et la sculpture: «Elle crée une nouvelle forme d’expression artistique qui défie toute catégorisation», loin du champ de l’artisanat et des arts appliqués. Ses Abakans éclatants de rouge, d’orange ou de jaune semblent vivants: ici on croit voir des bouches qui vomissent, des yeux, et ce dard proéminent? Là, on pense reconnaître des vaisseaux sanguins, des poumons. Le lourd manteau brun avec ses poches semble être supporté par quelqu’un… Les sutures entre les différentes parties sont très visibles et assumées, on dirait des cicatrices, encore une métaphore corporelle… Mais pour réparer quelles blessures?

Car on ne peut s’empêcher d’être troublé par le caractère tourmenté, voire torturé de l’œuvre de l’artiste: la corde sombre qui déborde et se déverse au milieu de la salle ressemble à une chaîne. La force d’évocation des Abakans en tout cas est immense et inépuisable. Le contraste avec la légèreté géométrique et les jeux aériens des fils tissés par la Suissesse Elsi Giauque, également représentante de la Nouvelle tapisserie et à qui l’exposition rend hommage dans une salle séparée, n’en est que plus marqué.

» Magdalena Abakanowicz. Territoires textiles, exposition à voir jusqu’au 24 septembre au MCBA, à Lausanne.


Des tuniques usées par le quotidien

Au XIIIe siècle, on raccommodait et on recyclait les vêtements: les tissus étaient un bien précieux, témoigne la Fondation Abegg.

On ne verra pas de lourdes soieries luxueusement tissées de prélats ou de dignitaires. A Riggisberg, c’est le quotidien de gens simples du XIIIe siècle que l’on peut appréhender dans des vêtements de coton, de lin ou de fibre d’ortie miraculeusement conservés. La Fondation Abegg a restauré pendant plusieurs années les pièces mises au jour dans une grotte quasi inaccessible du Liban et en expose une partie avant de les restituer au Musée national de Beyrouth. C’est bien l’émotion d’accéder à une humanité commune et ordinaire qui touche le visiteur: la plupart des tuniques exposées sont rapiécées, ou alors cousues à partir de vieux vêtements dont on a récupéré des morceaux. Certaines sont teintes ou comprennent des éléments brodés à la main. Il y a plus de 700 ans, les tissus étaient rares et avaient de la valeur: tout le contraire de la fast fashion actuelle.

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