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Scènes

Laura Chaignat interroge la «vie réussie» dans sa nouvelle pièce

Laura Chaignat questionne ce qu’est une vie réussie dans son solo Presque Phèdre, à voir à Boulimie


13 mars 2023 à 15:30

Théâtre » Rencontre avec la comédienne à Boulimie, à Lausanne, au lendemain de la première. Elle propose un café, s’en sert un, y ajoute une tisane au gingembre, pour faire pièce à la grippe. Elle porte des bottines en lézard (ou serpent peut-être?) et un rouge à lèvres ardent. Laura Chaignat est née il y a une trentaine d’années, dans le hameau des Sairains, sur la commune de Montfaucon, entre La Chaux-de-Fonds et Delémont. «Le lieu ne vous dit rien? Entre Genève et Bâle… Toujours pas?»

Ce village composé de «trois familles» et beaucoup de vaches, elle y est viscéralement attachée, et elle ne pense qu’à en partir. Comment elle est arrivée à monter son premier seule-en-scène à Lausanne, devant un public compact, aux yeux pétillants, trépignant sur les fauteuils boisés du mythique théâtre Boulimie, c’est ce qu’elle raconte dans Presque Phèdre. Avec une palette qui mêle autodérision («Laura, c’est un prénom inspiré d’une chanson de Johnny et d’un fer à repasser»), humour et émotion.

Imiter sa sœur

«Derrière chaque échec, il y a une porte qui s’ouvre» 
Laura Chaignat

Laura Chaignat convie donc la Phèdre de Racine, reine tragique et transgressive, qu’elle a longtemps rêvé d’incarner sur les planches. Mais… ce n’est pas si simple. «Je voulais jouer Phèdre à Vidy, je me retrouve à ramasser les mégots de clopes écrasés dans les fausses plantes des studios de Couleur 3. Ma carrière est une succession d’échecs qui me portent vers une étonnante réussite.» Pour une jeune femme «qui ne sait rien faire», la voie de l’animation radiophonique se révèle royale – bien que stressante.

Après Radio Fréquence Jura, ce sera La Première, et Couleur 3, sur la RTS, tout en exerçant une activité d’écriture qui débouchera sur ce seule-en-scène. Où on retrouve la reine indigne, donc, mais aussi sa propre mère, et une redoutable «dame du chômage».

«Je voulais surtout être libre!»
Laura Chaignat

Laura Chaignat les incarne tour à tour, avec un talent qui impressionne. Connaît-elle Zouc, la fameuse comédienne jurassienne, qui avait cette formidable capacité à incarner des personnages? Laura Chaignat se dit intimidée et impressionnée par l’aura de cette grande dame, dont elle a découvert le travail il y a quelques années.

«Je voulais être libre»

Le théâtre, pour elle, ça commence par un désir d’imiter sa sœur. Au départ, il y a un goût puissant de se montrer, un «jeu instinctif, depuis enfant». A quel moment a-t-elle découvert qu’elle pouvait faire rire? «Avant d’avoir conscience que c’était un pouvoir. Mon surnom enfant, c’était la lopette (ou chlopette, c’est-à-dire une crevure, qui fout la merde, une maligne, qui veut qu’on la regarde)… Bref, une drama queen XXL!» Sauf qu’elle, la Laura enfant et ado, elle ne veut surtout pas sacrifier au féminin, à ses stéréotypes limitants qui la terrorisent.

«Les femmes, elles ne faisaient pas partie de ma vie. Je ne voulais pas avoir des enfants, me marier, faire de la gym… Je voulais être un garçon – mais en fait, je voulais surtout être libre!» Mine de rien, par petites touches, Laura Chaignat dépeint un parcours de féministe en épanouissement.

«J’ai le parcours type de la discrimination positive!»
Laura Chaignat

Ses parents veulent la dissuader de devenir comédienne. Ils invitent des amis du métier, dont Diego Todeschini, pour la décourager. Profitant que Maman et Papa Chaignat quittent la pièce un moment, il lui glisse derrière leur dos: «Vas-y, c’est un métier dur mais c’est magnifique!» On lui a dit qu’elle était douée, quand elle a commencé les cours de théâtre.

Elle porte cette phrase comme un talisman, et elle traverse la vie en se posant mille questions, et en nous les posant aussi: qu’est-ce que c’est, réussir sa vie? De quoi rêve-t-on, et comment peut-on rester fidèle à ses rêves? Avec, en pointillé, ce parcours de transfuge de classe, dont elle est parfaitement consciente. Le titre de son émission, sur Couleur 3, c’est En attendant la gloire… alors, autodérision, mais pas seulement.

«Je veux garder l’importance des mots»
Laura Chaignat

«J’ai le parcours type de la discrimination positive! Femme, Jurassienne… Je coche beaucoup de cases… On avait besoin de femmes!» C’est comme ça que Laura Chaignat explique son «ascension». Elle joue de son accent, de son innocence, de sa distance avec le monde «urbain», branché. Elle le fait avec un art consommé de l’équilibre, sait se moquer d’elle et des autres tout en laissant de la place à la tendresse.

Elle a aussi pleinement conscience de sa responsabilité de femme qui fait rire. «Oui, c’est un souci que j’ai, de ne pas sacrifier le propos pour la blague. Et puis chez moi, la blague, ce n’est pas spontané, ça ne sort pas tout seul. Je veux garder l’importance des mots.»

Laura Chaignat parle souvent de ses échecs: nous discutons des mots de l’humoriste français Guillaume Meurice, pour qui on rate en permanence, on avance par essais, erreurs… Selon lui, il faudrait arrêter la dichotomie échec-réussite: plutôt que parler d’échec, parler d’erreur. Mais Laura Chaignat voit les choses autrement. Pour elle, l’erreur est un raté. Alors que l’échec, ça relève du destin. Les échecs, ce sont des charnières. «Derrière chaque échec, il y a une porte qui s’ouvre.»

Chercher encore

En encadrement des portes du Théâtre Boulimie, justement, il y a la grande affiche 2023, son graphisme vintage, et sa longue liste de noms en rouge. Quarante-quatre noms! En désordre alphabétique, pour bien montrer le peu de goût qu’ont ces femmes et ces hommes pour la hiérarchie, quelle qu’elle soit: noms célèbres et humoristes débutants, on dirait que tout cela s’entremêle et s’enrichit mutuellement. L’humour, à l’heure actuelle, c’est presque un sport d’équipe: il y a les revues, les «groupes» d’amis qui se soutiennent et qui partagent la scène, et c’est un phénomène qui va en augmentant… «C’est vrai, c’est comme ça que ça marche, ma trajectoire le prouve, la confiance est là. Je me sens quand même comme un électron libre… Je cherche encore. Mais j’apprécie cette famille qui m’entoure.»

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