Logo

Culture

À Lausanne, le Musée des beaux-arts permet aux visiteurs de pénétrer dans des œuvres

Alors que les expériences immersives se multiplient (Tintin, Frida Kahlo, Van Gogh), le MCBA explore les origines de l’art immersif. Brillant.

Les commissaires de l’exposition, à droite, Choghakate Kazarian et Camille Lévêque-Claudet dans Hole in home, 1966 (reconstruction, 2023) de Ferdinand Spindel. © MCBA, Etienne Malapert

10 novembre 2023 à 10:35

Temps de lecture : 1 min

Arts plastiques » La Seconde Guerre mondiale vient de s’achever et, à Milan, un jeune artiste italo-argentin, Lucio Fontana, présente Ambiente spaziale a luce nera. Nous sommes en février 1949 et durant quelques jours, les visiteurs de la Galleria del Naviglio peuvent pénétrer dans une sorte de grotte noire, dans laquelle apparaissent des formes de papier mâché brillant de leurs couleurs phosphorescentes. Cette œuvre – présentée dans l’exposition Immersion. Les origines 1949-1969, à voir actuellement au Musée cantonal des beaux-arts (MCBA) de Lausanne – est considérée comme la première à être proprement immersive, car conçue pour «engloutir» le visiteur à 360 degrés.

Alors que les «expositions» immersives se multiplient, permettant d’appréhender de façon ludique les tableaux de Van Gogh, Klimt, Frida Kahlo ou même les bulles d’Hergé (Tintin, l’aventure immersive en ce moment au Palais de Beaulieu à Lausanne, lire ci-dessous), les historiens de l’art Camille Lévêque-Claudet, conservateur au MCBA, et Choghakate Kazarian, commissaire d’exposition indépendante, ont décidé de remonter aux sources de l’art immersif et présentent 14 œuvres comme autant d’espaces autonomes dans lesquels le visiteur pénètre (souvent en chaussettes).

Dès la fin des années 1940, le plus souvent chez des privés ou dans des galeries, des artistes se sont mis à créer, aux confins de l’installation, du théâtre, de la musique et même du monde de la nuit des œuvres permettant aux visiteurs de les recevoir et de les expérimenter de tout leur corps, très loin de ces actuelles «expériences» détournant des œuvres qui n’ont pas été pensées pour être agrandies ou animées.

Immersion. Les origines 1949-1969 est une prouesse technique, pourquoi?

Camille Lévêque-Claudet: C’est sans nul doute le projet le plus fou qu’ait monté le musée. Car chacune des 14 pièces présentées est une exposition à part entière! Nous proposons donc ici 14 expositions en une. Ce qui n’aurait pas été possible sans l’énorme implication des équipes techniques. Car il a fallu faire de l’électricité, de la menuiserie, de la construction. Nous avons passé tellement de commandes! Trois cent trente kilos de plumes ont été nécessaires (pour Feather Room de Judy Chicago, ndlr), 8000 litres de billes de sagex (pour Luna de Fabio Mauri, ndlr), des pots et des pots de peinture, des kilomètres de planches.

Et puis il faut souligner que les normes de sécurité ont évolué. Certaines pièces que nous montrons ont été construites plus facilement à l’époque qu’aujourd’hui, de façon plus spontanée, notamment en ce qui concerne l’électricité.

Et vous, historiens de l’art, avez dû mener de véritables enquêtes…

Oui car sur les 14 œuvres, une seule est d’époque (les toiles roulées d’Une Caverne de l’antimatière de Pinot Gallizio, ndlr). Toutes les autres, nous avons dû les reconstituer. Si l’on prend le fameux Hole in Home (1966) de Ferdinand Spindel, on ne sait pas combien de temps il est resté dans la maison d’Ursula et Günter Tollmann pour laquelle il a été conçu. Il s’est détruit, ce qui est normal car vous ne pouvez pas conserver une exposition entière, vous conservez une œuvre. La plupart de ces pièces immersives ont perduré dans leur idée, pas dans leur matérialité.

Concernant Spindel, son œuvre n’avait jamais été reconstruite jusqu’à ce que nous nous y attelions. Nous avons donc dû chercher des photos (en noir et blanc, forcément, ndlr), des articles de l’époque et nous avons trouvé un film, très précieux, dans lequel on voit Spindel agrafer la mousse. On apercevait aussi un croquis qui nous a été utile. Nous nous sommes aussi basés sur d’autres œuvres de lui dont nous savions qu’elles avaient été réalisées dans cette fameuse mousse rose.

Parfois les familles des artistes nous ont aidés, ou les artistes encore vivants, comme Judy Chicago, nous ont demandé d’actualiser leur œuvre, par exemple en ajoutant des leds qui n’existaient pas à l’époque.

Que pensez-vous de ces «expositions» immersives qui déferlent depuis quelques années?

Si on les nomme spectacles, je n’ai rien contre. En revanche, une exposition ne peut en aucun cas trahir un artiste. Et quand on projette un tableau de 20 cm sur 30 cm sur un mur de 5 mètres, c’est une trahison. De même quand on mélange plusieurs tableaux entre eux ou qu’on les anime, car ils n’ont pas été créés dans cette perspective.

Ce contenu provient de notre ancien site web. Il est possible que sa mise en page ne soit pas idéale. En savoir plus