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Histoire vivante

Unspunnen, le poids de la légende

Créée pour apaiser les tensions entre Berne et l’Oberland, la fête champêtre fait la part belle au mythe


20 avril 2023 à 22:50

Traditions » Du pain et des jeux! C’est dans le parfait esprit de la Rome antique que Leurs Excellences de Berne ont imaginé la Fête d’Unspunnen. Leur objectif était de rapprocher les gens de la ville, de la campagne et de la montagne, alors que les tensions étaient vives entre la capitale et la région du «Bödeli», cette bande de terre qui sépare les lacs de Thoune et de Brienz, où se trouvent notamment Interlaken et Unspunnen.

Il faut dire que pour les «Patriotes» montagnards, qui avaient obtenu que l’Oberland devienne un canton à part entière au printemps 1798, alors que le Pays de Vaud gagnait son indépendance, la déception était grande. En juillet 1802 déjà, pris dans la débâcle de la République helvétique, les partisans de la Révolution se retrouvaient sous le joug des patriciens de la cité bernoise des Zaehringen. Une réunification confirmée par l’Acte de Médiation de 1803, rédigée par le premier consul Napoléon Bonaparte.

Des prix alléchants

Pour amadouer les opposants, les patriciens imaginent d’organiser une fête grandiose, «où seraient célébrés et mis en valeur les us et coutumes, jeux et autres pratiques propres aux populations montagnardes et aux bergers des Alpes», lit-on dans Folklore suisse¹, le bulletin de la Société suisse des traditions populaires. Pour concrétiser leur projet, le maire de Berne, Niklaus Friedrich von Mülinen, et le magistrat chargé d’Interlaken, Franz Ludwig Thormann, peuvent s’inspirer d’anciens jeux campagnards fort appréciés, pratiqués déjà depuis le XIIIe siècle à Unspunnen.

 

Pour attirer les compétiteurs, alors que l’Oberland connaît une grande pauvreté, les organisateurs annoncent la distribution de prix importants pour les vainqueurs des jeux: du bétail, des moutons de races supérieures, des semences de lin de qualité, des médailles en argent… Des mesures de sécurité exceptionnelles sont aussi prises pour éviter tout débordement par des «Patriotes» mécontents ou des «agitateurs étrangers». C’est qu’on attend de nombreux hôtes de la bonne société, Berne ayant invité des princes et aristocrates pour marquer le retour au pouvoir de l’Ancien Régime.

Mythe sur mesure

La Fête d’Unspunnen est agendée au 17 août 1805 près des ruines du château. Elle est nommée Berchtolds Tag en l’honneur du fondateur de la ville de Berne en 1191. Le rendez-vous se voulant international, une importante publicité est distribuée à travers l’Europe. A Paris, le Moniteur universel laisse entrevoir une fête champêtre des plus pittoresques, avec «des bergers de nos Alpes exercés à jouer du grand chalumeau dit Alphorn, ou à la haute lutte (Schwingen) ou au lancer de la grosse pierre (Steinstossen)»².

2029

L’année de la prochaine fête d’Unspunnen.

Pour l’occasion, Sigmund von Wagner, responsable artistique de l’organisation, développe une légende pour souligner les liens de fraternité ancestraux entre Berne et l’Oberland. L’histoire se situe au XIIe siècle. Elle raconte l’enlèvement d’Ita, la fille du seigneur Burkhard d’Unspunnen, par un vaillant chevalier de la cour des Zaehringen. S’ensuivent d’interminables conflits, jusqu’à ce que fatigué, le duc Berchtold V se rende personnellement au château d’Unspunnen. Il présente au vieux Burkhard un enfant, né d’Ita et de son ravisseur: son petit-fils. Trop heureux d’avoir une descendance, le seigneur le remercie: «Tu me donnes avant ma mort mon propre sang en héritage. Que lui appartiennent château, vallée et pays!»

La fête de 1805 n’a finalement pas eu les effets politiques escomptés mais a tout de même été renouvelée en 1808, pour marquer les 500 ans de la Confédération, dont la naissance n’était pas encore datée à 1291. Le but était alors de réunir les différentes classes sociales de tous les cantons, de favoriser l’entente cordiale, de réintroduire les anciens jeux, us et coutumes, et de promouvoir la musique populaire.

La Fête d’Unspunnen a connu une renaissance en 1905, puis en 1946, 1955, 1968, 1981, 1993, 2006 et 2017, où elle a attiré plus de 150 000 spectateurs en neuf jours. La fameuse pierre d’Unspunnen, perdue plusieurs fois ou volée par le mouvement séparatiste jurassien Bélier, en est à son 4e exemplaire. La prochaine édition de la fête aura lieu en été 2029 à Interlaken. D’ici là, les amateurs ne manqueront pas le prochain Unspunnen Schwinget, qui réunit les 120 meilleurs lutteurs de Suisse sur la Höhematte tous les six ans. Ce sera le dimanche 27 août prochain.

¹Uli Windisch et Florence Cornu, Fête et politique: la fête des bergers d’Unspunnen, hier et aujourd’hui, Folklore suisse, tome 72, 1982.

²Rudolf Gallati et Christoph Wyss, Unspunnen 1805 – 2005, Die Geschichte der Alphirtenfeste. Touristik-Museum des Jungfrau-Region, 2005.

Histoire vivante

  • Radio: du lundi au vendredi à 13h30
  • TV: Le syndrome d'Unspunnen // Di: 20h55 Ma: 0h05

 

Une fête magnifiée par les peintres et les écrivains

En plein romantisme, les artistes sont fascinés par la montagne. Les festivités champêtres et alpestres d’Unspunnen les inspirent.

Les deux premières fêtes d’Unspunnen, en 1805 et 1808, ont grandement participé de l’engouement romantique pour les Alpes bernoises, attirant artistes et poètes de tous horizons. Fascinés par ce peuple de fiers bergers, ces solides lutteurs, ces yodleurs virtuoses, ces joueurs de cor des Alpes, ces danseurs en costumes traditionnels, ils ont magnifié leurs coutumes ancestrales dans de superbes décors alpestres, aussi mystérieux que fantastiques. Par la diffusion de leurs œuvres, ils ont contribué à l’essor touristique de la région.

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