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Suisse

Une redevance à 300 francs ne serait pas si dramatique pour la SSR

Avec l’augmentation du nombre de ménages, une baisse à 300 francs de la redevance radio-TV d'ici 2029 n’aurait pas tant d’impact sur la SSR, selon les journaux de CH Media. Au lieu de 170 millions, la SSR devrait perdre environ 85 millions de francs, soit 5,5% de son budget.

Albert Rösti, UDC, n’est pas loin d’une «propagande scandaleuse» selon son propre camp. © Keystone

11 novembre 2023 à 17:25

Temps de lecture : 1 min

Service public » Le budget de la SSR bientôt rogné de 170 millions de francs? Pas si vite. Quelques jours après la proposition du conseiller fédéral Albert Rösti d’abaisser la redevance radio-TV à 300 francs d’ici 2029 et d’exempter davantage d’entreprises, les journaux du groupe CH Media ont fait leurs petits calculs. Selon eux, c’est être bien pessimiste que d’estimer que le service public audiovisuel puisse perdre 170 millions de francs au budget car l’augmentation du nombre de ménages compenserait largement la baisse de la redevance.

La pression est extrême sur la SSR qui va vers des mesures «désagréables»

Service public » Albert Rösti se montre direct: «Il n’y a pas de bon moment pour économiser. L’initiative pour une redevance à 200 francs est une attaque contre la SSR. Ce que nous proposons pour lui répondre sera aussi désagréable.» Le conseiller fédéral UDC est lui-même un des pères de l’initiative «200 francs, ça suffit». Maintenant qu’il est au gouvernement, il porte la voix du collège et rejette le texte. «Son acceptation aurait des conséquences considérables sur le service public», plaide-t-il devant la presse ce mercredi. Le calcul: un oui à l’initiative ferait passer le montant de la redevance radio-TV reçu par la SSR de 1,25 milliard de francs à 650 millions.

Ce qui est «désagréable», c’est que sous la pression de ce texte venu de la droite dure, le Conseil fédéral ne compte pas laisser la SSR tranquille. Il va même la mettre au pas. Sa décision: baisser la redevance à 312 francs en 2027, puis à 300 francs en 2029, contre 335 francs aujourd’hui. Dans quatre ans, il compte aussi exempter de la redevance 68 000 entreprises supplémentaires afin d’épargner un total de 80% des sociétés. Perte annuelle pour la SSR: environ 170 millions de francs. Les médias régionaux ne seraient pas touchés.

Féroce opposante à la redevance pour les entreprises, l’Union suisse des arts et métiers (Usam) n’est pas satisfaite. Pour Fabio Regazzi, ce n’est qu'«une mesure purement cosmétique». Les entrepreneurs et collaborateurs s’acquittent déjà de la redevance en tant que particuliers, «il s’agit donc d’une double imposition inadmissible», tonne son président dans un communiqué. Et puis «la redevance des entreprises reste dépendante du chiffre d’affaires. Pour les PME ayant une faible marge, la charge est disproportionnée».

Problème de fond

Albert Rösti exige aussi que la SSR se concentre sur l’information, la formation et la culture. «Elle doit par ailleurs proposer plus de contenus audios et audiovisuels dans son offre en ligne», ajoute Albert Rösti. Pour ce faire, il va prolonger l’an prochain la concession actuelle de 2022, mais en élaborer une nouvelle pour 2029. Pas suffisant, rétorque l’organisme de défense des intérêts des éditeurs romands de presse écrite (dont fait partie La Liberté).

Dans un communiqué, Médias Suisses estime qu’il est urgent de redéfinir rapidement le mandat de la SSR, tant la numérisation a remodelé en profondeur le secteur. Selon le secrétaire général Daniel Hammer, la confrontation des offres gratuites de la SSR sur internet, financées par la redevance, et celles des privés «entraîne des distorsions croissantes du marché qui mettent en péril le développement des médias privés et, par conséquent, l’approvisionnement en informations en Suisse».

Dans la tour RTS à Genève, certains ne s’étonnent guère de ces annonces. «Les rédactions qui s’occupent de produits purement de service public pour la télévision ou la radio sont dégarnies depuis des années pour alimenter des contenus digitaux. Or ces contenus, non seulement, ne marchent pas bien, mais en plus sont éloignés du cœur d’activité qui est d’informer les Suisses», déplore un journaliste. Depuis une dizaine d’années à la RTS, il a signé l’initiative car il estime qu’une «vraie réflexion est nécessaire». «En Angleterre, la BBC a connu des coupes drastiques et s’en sort. Parfois, il faut des changements drastiques pour se recentrer», estime-t-il.

«Mesurettes»

Jean-Luc Addor acquiesce. Membre du comité d’initiative, le conseiller national UDC voit que le Conseil fédéral «panique à l’idée de plus en plus crédible que l’initiative a de grandes chances d’être acceptée par la population». Selon lui, les mesures proposées par Albert Rösti s’apparentent à «des mesurettes». «Le Conseil fédéral s’arc-boute pour maintenir un système, nonobstant les critiques à son encontre. Après il s’étonne que l’hostilité envers la SSR ne varie pas», soupire le Valaisan, qui ne voit pas vraiment pourquoi l’initiative serait retirée. Ce d’autant plus qu’un récent sondage montre que 61% des Suisses sont favorables au texte.

Récemment, plusieurs initiants ont affirmé que ce n’est pas vraiment le montant de la redevance qui est important, mais qu’il y ait un débat de fond sur la mission de la SSR. «Or avec les annonces du Conseil fédéral, ce débat n’aura pas lieu, regrette Jean-Luc Addor. Avec notre initiative, nous voulons obliger la SSR à s’en tenir à son rôle de média d’Etat et à laisser le reste aux médias privés», rappelle-t-il. A peine entré en fonction, Albert Rösti avait commandé une évaluation générale de la SSR. Ses décisions du jour arrivent avant même ces conclusions.

Ce mercredi, un puissant front s’est levé pour dénoncer une attaque contre le service public (lire ci-contre). Questionnée, la SSR limite, elle, sa réaction à un communiqué. Dans celui-ci, elle salue la décision du Conseil fédéral de rejeter l’initiative, «mais elle prend connaissance des mesures proposées avec préoccupation». Elle rappelle que la redevance a déjà été réduite d’environ 25% depuis 2018, quand elle était encore de 451 francs. Selon la SSR, «la réduction du budget aurait d’inévitables répercussions sur le programme, notamment dans les domaines des informations régionales (…)». Et de conclure que «le personnel serait hélas aussi touché».

Un flot de critiques

Le projet du Conseil fédéral d’abaisser la redevance radio-TV à 300 francs par an suscite un flot de critiques. Pour ses détracteurs, la réduction des recettes aura des répercussions sur la qualité des programmes et pour les minorités linguistiques, avec au final la crainte d’un affaiblissement de la démocratie.

Les syndicats des médias SSM et syndicom s’opposent «de toutes (leurs) forces» au «démantèlement» prévu, qui menace pour eux «gravement la qualité du service public».

Les stations de radio et de télévision privées titulaires d’une concession et chargées d’un mandat de prestations sont également touchées, de même que la création cinématographique et musicale suisse, ainsi que l’ensemble de la branche culturelle, relèvent-ils.

Avec sa dernière décision, le conseiller fédéral Albert Rösti «poursuit l’érosion de la diversité et de la qualité des médias dans le paysage médiatique suisse», fustigent les syndicats.

Pour le SSM, le projet du Conseil fédéral aurait les mêmes conséquences qu’une acceptation de l’initiative «200 francs, ça suffit». «Il affaiblit sans raison et sans nécessité le service public, ce qui est un poison pour notre démocratie», ajoute Stephanie Vonarburg, vice-présidente de syndicom et responsable du secteur Médias.

Au final, la population risque d’être de moins en moins bien servie par un journalisme fiable, critique et indépendant. Pour l’Alliance Pro Diversité des Médias, vouloir «affaiblir substantiellement l’entreprise publique de médias à une époque marquée par la désinformation» relève d’un «manque de clairvoyance».

L’Union syndicale suisse (USS) s’oppose à «un démantèlement en catimini». Arrivant précisément «dans le contexte de mesures d’austérité draconiennes et de licenciements en masse dans le secteur des médias, cette décision pour une réduction des moyens du service public ne peut que rencontrer une grande incompréhension», écrit-elle.

Les principales victimes de ce démantèlement seraient en premier lieu, en plus du personnel, les régions périphériques et les minorités linguistiques, souligne l’USS.

A gauche toujours, le Parti socialiste est lui aussi furieux. «La redevance permet de maintenir la qualité médiatique dans les régions linguistiques minoritaires, comme la Suisse romande. S’en prendre à la redevance, c’est s’en prendre à la cohésion nationale», s’inquiète la conseillère nationale fribourgeoise Valérie Piller Carrard (ps).

Le scénario démographique pris par le conseiller fédéral UDC semble en effet plutôt conservateur. Avec une baisse de la redevance à 312 francs en 2027 puis à 300 francs en 2029, le gros de la réduction sera effectif dans six ans. D’ici là, le nombre de ménages en Suisse soumis à la redevance va forcément augmenter. Le scénario le plus probable de l’Office fédéral de la statistique (OFS) prévoit que la Suisse compte 4,174 millions de ménages en 2029.

S’il se réalise, et en ajoutant les 10 millions de francs perdus en raison de l’exemption élargie pour les entreprises aussi annoncés, la perte pour la SSR ne serait que de 85 millions de francs, loin derrière les 170 millions agités par le Conseil fédéral et la SSR. Un scénario «bas» prévoit une perte de 110 millions de francs; un scénario «haut» une perte de 60 millions de francs. Questionné par les journaux, le département d'Albert Rösti s'en tient à sa version.

«Propagande»

Si la SSR devait réduire son budget de 85 millions de francs, cela représenterait une baisse de 5,5% du budget actuel. «Economiser 5,5% sur une période de six ans n’est pas un objectif particulièrement difficile à atteindre», écrivent encore les journaux.

Toujours dans les publications de CH Media, le coprésident du comité d’initiative réagit. «J’ai l’impression que les conséquences d’une réduction de la redevance sont exagérées. Si cette impression se confirme, ce serait une propagande scandaleuse», affirme Matthias Müller, président des Jeunes libéraux-radicaux.

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