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Suisse

Prêts Covid surveillés

Recouvrement des crédits Covid en souffrance par Intrum? La FRC et l’USAM s’inquiètent de la méthode


28 mars 2022 à 04:01

Temps de lecture : 1 min

Enquête » A la fin du mois, et à moins d’un arrangement particulier, les entreprises devront commencer à rembourser les crédits Covid qu’elles ont obtenus pour affronter les conséquences de la crise sanitaire. Un peu plus de deux ans après le début de la pandémie, plus de 110’000 emprunts sont toujours en cours. Ils représentent près de 12 milliards de francs qui devront être remboursés dans un délai de huit ans après leur octroi. Ceux qui ne peuvent pas payer régulièrement leurs tranches de remboursement devront affronter les sociétés spécialisées dans le recouvrement des créances.

Pour le centriste Fabio Regazzi, qui préside l’Union suisse des arts et métiers (USAM), «toutes les entreprises ne sont pas encore sorties de la crise sanitaire, et la guerre en Ukraine aura aussi des conséquences économiques». Il insiste: «C’est une situation très particulière et les banquiers devront faire preuve de sensibilité et de flexibilité.» Au parlement, le Tessinois a obtenu un délai supplémentaire de trois ans pour les entreprises. Le Conseil fédéral et le ministre des Finances Ueli Maurer plaidaient pour un remboursement dans les cinq ans. Selon les données de l’administration fédérale, les banques ont déjà récupéré 5 des 17 milliards d’emprunts qui ont été accordés entre mars et juillet 2020.

Décision qui interpelle

Les crédits Covid ont été proposés par le gouvernement dès les premiers jours de la pandémie. Les entreprises affaiblies par les mesures sanitaires pouvaient emprunter jusqu’à 10% de leur chiffre d’affaires, sans payer d’intérêts si la somme n’excédait pas 500’000 francs. Pour Ueli Maurer, qui promettait que l’argent serait disponible en une demi-heure, il fallait «agir très rapidement». Les milieux politiques et économiques avaient unanimement salué cette assistance bienvenue. En une semaine, plus de 76’000 entreprises avaient sollicité des crédits pour près de 15 milliards de francs. Il leur reste désormais six ans pour s’acquitter de leur dette.

Concrètement, les emprunts ont été accordés par les banques et garantis par la Confédération via quatre organismes de cautionnement. Au début février, le gouvernement a décidé que ces derniers pourraient recourir aux sociétés de recouvrement pour récupérer leur argent si une entreprise ne parvient pas à assumer son plan de remboursement. La démarche interpelle parce que ces sociétés sont très impopulaires. Secrétaire générale de la Fédération romande des consommateurs (FRC), la Verte Sophie Michaud Gigon est inquiète. Elle vient de déposer une interpellation sur le sujet et elle juge qu’il est «trop tôt pour mettre sous pression les entreprises qui ont emprunté».

Ces dernières années, plusieurs interventions parlementaires se sont indignées des pratiques de ces sociétés, jugées «à la limite de la légalité» par le libéral-radical neuchâtelois Raphaël Comte, ou «discutables» par le vert’libéral argovien Beat Flach. Selon Sophie Michaud Gigon, elles «réclament presque systématiquement des frais exorbitants». Dans un rapport, le Conseil fédéral relève des abus documentés, mais estime que les dispositions légales actuelles sont suffisantes: «Même si, dans la pratique, il subsiste apparemment des cas problématiques, aucune réforme législative n’est nécessaire.» Jusqu’ici, elles s’autorégulent.

«Soucieux», notamment parce que «ces établissements ont mauvaise réputation», Fabio Regazzi juge que de «recourir aux sociétés de recouvrement n’est pas très élégant». Selon le président de l’USAM, «l’Etat a choisi un procédé très discutable» pour récupérer l’argent des crédits Covid. Actif dans la construction métallique, il a lui-même sollicité un emprunt qu’il a commencé à amortir. Il a cosigné l’interpellation de Sophie Michaud Gigon «pour montrer que nous assurerons un suivi de la situation, et que nous réagirons si nous constatons que les choses ne se déroulent pas comme promis». Il soupire: «Il ne faudrait pas que cette dette condamne définitivement les entreprises qui sont en difficulté.»

Le SECO rassure

Pour le cas particulier des crédits Covid, un contrat a été conclu entre les quatre organismes de cautionnement et la société Intrum. Employant 9000 personnes dans 24 pays et plus connue sous son ancien nom, «Intrum Justitia», la société suédoise est un acteur majeur du marché de recouvrement des créances en Europe. Comme ses concurrents, elle est régulièrement critiquée par les associations de défense des consommateurs. En France, elle a parfois perdu face à la justice. Depuis deux ans, elle mène une campagne de communication pour convaincre que son approche a changé, et qu’elle est désormais «orientée vers les solutions». Sollicités, ses communicants ne s’expriment pas sur les crédits Covid.

«Le risque que cette procédure augmente la dette des entreprises aidées n’existe pas»
Fabian Maienfisch

Chargé du dossier, le Secrétariat d’Etat à l’économie (SECO) tient un discours rassurant: «Il n’y a pas lieu de s’inquiéter. Il s’agit d’une procédure très accommodante et les entreprises bénéficient de mesures avantageuses». Selon le contrat, «il leur incombe de payer uniquement les éventuels frais de poursuite, mais pas les dommages supplémentaires résultant de la demeure, ni des intérêts moratoires ou d’autres frais liés à la gestion des créances». Par ailleurs, lors des entretiens qui lui ont permis d’obtenir le mandat, «Intrum a confirmé à plusieurs reprises qu’elle adopterait une approche favorable aux entreprises».

Questions sans réponses

Existe-t-il un risque que cette procédure engendre une augmentation de la dette des entreprises, et que les crédits Covid finissent par affaiblir les sociétés qu’ils auraient dû aider? «Non, ce risque n’existe pas», affirme Fabian Maienfisch, porte-parole du SECO. Il tient à préciser que «les créances ne sont pas transmises à Intrum», mais resteront dues aux organismes de cautionnement. Les frais engagés par ces derniers pour récupérer les emprunts seront remboursés par la Confédération.

La société Intrum, elle sera rémunérée «sans composante d’honoraires de résultats», à l’exception de 15% prélevés sur les actes de défaut de bien et sur les recouvrements qui résultent des insistances de son service de surveillance. Selon le SECO, ces possibilités «ne concernent qu’un petit nombre de cas». Il reste très compliqué d’estimer la rémunération qu’Intrum pourrait encaisser pour ce mandat. Selon les observateurs, elle devrait se chiffrer en millions de francs.


Trois questions à Sophie Michaud Gigon

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