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Suisse

Vols spéciaux. les pratiques douteuses de la société chargée du suivi médical des requérants déboutés

Fondée par l’ancien médecin militaire Adrian Businger, Oseara exécute depuis 2012 l’accompagnement médical des vols embarquant les requérants d’asile déboutés. Son activité a fait l’objet de rapports très sévères, commandés par le Secrétariat d’Etat aux migrations (SEM). Mais peu de mesures ont été prises.

En une dizaine d’années, la Suisse a renvoyé quelque 50 000 requérants déboutés dont la société Oseara devait gérer les renvois. © Keystone

17 octobre 2023 à 09:00

Temps de lecture : 1 min

Procédure » C’est la face cachée des vols spéciaux. Sous-traité par la Confédération à la société Oseara, l’accompagnement médical des requérants renvoyés par la force souffre de nombreuses lacunes. Selon les rapports de la société JDMT Medical Services, «les déficiences sont importantes et systématiques». Les experts sont sévères: «Oseara ne remplit pas les critères d’une organisation hautement fiable.»

Il aura fallu deux ans de procédure et une décision du Tribunal administratif fédéral pour que le Secrétariat d’Etat aux migrations (SEM) accepte de transmettre ces documents à La Liberté, au Temps, et à ESH Médias (ArcInfo, Le Nouvelliste et La Côte).

Durant la dernière décennie, la Suisse a renvoyé plus de 50'000 requérants déboutés qui refusaient de quitter le territoire. Encore aujourd’hui, près de la moitié des personnes rapatriées par la force sont entravées durant le processus.

2,19 mio de francs par an

Fondée en 2012 par l’ancien médecin militaire Adrian Businger, Oseara évalue l’aptitude au vol de ces individus, puis assume l’accompagnement médical des vols spéciaux. Pour ce travail, le SEM peut lui verser jusqu’à 2,19 millions de francs par an.

La première année, Oseara s’est fait remarquer en utilisant de la kétamine, une substance psychotrope et anesthésique. Par la suite, des médecins ont régulièrement fait remarquer qu’elle jugeait de nombreux requérants aptes à être renvoyés sans tenir compte de problèmes de santé ou de contre-indications médicales.

Sollicité, Adrian Businger s’exprime publiquement pour la première fois. Par écrit, il affirme: «A aucun moment la santé des personnes rapatriées n’a été mise en danger.» Le travail de sa société n’a jamais été analysé avant 2019 et le premier de ces fameux rapports.

Documents incomplets

Les contrôles de JDMT coïncident avec une étonnante rupture statistique. En 2017 et 2018, seules 17 et 74 personnes avaient été jugées inaptes au vol par les médecins d’Oseara. Les deux années suivantes, la société a renoncé à 234 et 218 renvois pour des raisons médicales.

Malgré tout, seuls un tiers des 138 cas analysés en 2019 par les experts ne posaient pas de problème. L’année suivante, sur les 140 premiers cas observés, seuls 39 étaient irréprochables. Les documents médicaux se révèlent très souvent incomplets. Selon les experts, ils «sont remplis de manière catastrophique et n’ont absolument aucun sens».

Sur le fond, les examens médicaux semblent sommaires. Pour JDMT, «la possibilité de voyager a été considérée trop rapidement comme acquise avant le contrôle» et «il y a un manque d’évaluations médicales spécialisées». Le même praticien se prononce sur des cas relevant de la gynécologie ou de la psychiatrie.

Par ailleurs, JDMT dénonce «un manque total de volonté de participer, de créer la transparence et d’améliorer les services». Les experts se fâchent: «Nous sommes extrêmement irrités par le refus grossier et catégorique du prestataire de faire preuve de transparence sur les processus organisationnels.»

Une boîte noire

Pendant des années, alors que les médias documentaient régulièrement les renvois forcés de femmes très proches d’accoucher ou de personnes âgées nécessitant des dialyses régulières, le SEM a semblé se satisfaire des résultats statistiques avancés par Oseara.

En 2016, pour la première fois, il a mis au concours un mandat de contrôle de la société. Personne n’y a répondu. Pendant ce temps, les documents qui auraient dû assurer la traçabilité des cas traités restaient très lacunaires. Pour les experts de JDMT, «le SEM n’a pas pu ouvrir cette boîte noire et a semblé l’accepter».

Durant toutes ces années, et bien que ce ne soit pas leur mission, seuls les membres de la Commission nationale de prévention de la torture (CNPT) auront pu observer les médecins d’Oseara au travail. Pour Livia Hadorn, qui coordonne les travaux de la CNPT, la commission «constate régulièrement des renvois de personnes présentant des affections médicales graves, y compris psychiques».

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