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Suisse

Le pédopiégeage, ce fléau d’internet combattu à Fribourg

Demande d’images, de vidéos, voire de rencontres. En ligne, de nombreux adultes traquent et manipulent des mineurs pour obtenir des faveurs sexuelles. Certaines victimes en ressortent profondément marquées. La police fribourgeoise, qui lutte contre ce fléau, déplore leur silence. Enquête.

Les pédophiles sont très actifs sur internet et ses nombreuses plateformes. © Jean-Baptiste Morel - prétexte

18 décembre 2023 à 18:35

Temps de lecture : 1 min

Léo* a 14 ans lorsqu’il rencontre une fille sur la plate-forme de chat Omegle. Au sein de sa famille évangélique, la sexualité est taboue. Le plus souvent, il la refoule. Mais pas ce soir-là. Excité à l’idée de flirter avec elle, il converse longuement, avant de la retrouver en visuel sur Skype. «Je me retrouve face à une jeune femme. Elle commence à enlever son tee-shirt et me demande de me déshabiller.» Il s’exécute naïvement. «Soudain, l’écran devient noir et les menaces commencent. J’entends d’abord une voix d’homme qui me demande 500 euros et menace d’envoyer ces images de moi à BFM TV. Puis, sa caméra s’active et je découvre un vieux monsieur qui se masturbe.»

Rapidement, Léo coupe court à la conversation. Aujourd’hui encore, le Vaudois de 24 ans ne sait pas ce que cherchait réellement l’homme derrière ce rapide chantage. «Mais je vis depuis avec la pensée qu’une vidéo de moi, nu, circule peut-être sur des sites pédos.» Quelques jours après notre rencontre avec Léo, le site Omegle a justement fermé, accusé de faire le lien entre pédophiles et enfants.

De nombreux jeunes abusés en ligne

Même très jeune, recevoir des photographies et des vidéos à caractère sexuel sur la Toile est courant. Pire, selon une étude de l’Université des sciences appliquées de Zurich, 41% des 14-15 ans, majoritairement des filles, ont déjà été abordés en ligne par un étranger avec des intentions sexuelles indésirables.

Expérience récemment tentée par Mélissa Afsin, du média jeune public de la RTS «Tataki». Pour un reportage, la créatrice de contenu s’est mise dans la peau d’une adolescente sur un site de rencontre pour les 13-25 ans libre d’accès pour les jeunes francophones. Résultat: en se faisant passer pour une enfant de 14 ans, elle a reçu en quelques minutes plusieurs demandes sexuelles de la part d’adultes et des photos de pénis.

Faire des propositions de ce genre à un mineur, qui n’a pas atteint la majorité sexuelle, est pourtant illégal. La pratique a un terme: le grooming, pédopiégeage en français. «Il regroupe plusieurs délits et n’existe pas en tant que tel aux yeux de la loi. En revanche, le fait d’entraîner un mineur de moins de 16 ans à se stimuler sexuellement, comme dans le cas de Léo, peut être constitutif d’actes d’ordre sexuel avec des enfants, infraction passible de cinq ans de peine privative de liberté au plus ou d’une peine pécuniaire. Envoyer une photographie de son sexe ou une vidéo pornographique à un jeune de cet âge est également illégal et peut être puni d’une peine privative de liberté de trois ans au plus ou d’une peine pécuniaire», constate l’avocate fribourgeoise Anne-Laure Simonet.

Elle a défendu au cours des dernières années plusieurs victimes de pédopiégeage. Jugements relatés par La Liberté. Selon nos différentes sources étatiques et judiciaires, les auteurs sont majoritairement des hommes, manipulateurs, voire pervers narcissiques.

Victimes invisibles

Si les textes de loi peuvent paraître dissuasifs, la réalité est tout autre. Malgré le caractère récurrent de ces pratiques, la Police cantonale fribourgeoise reçoit seulement une quinzaine de signalements par année de la part des victimes. En cause notamment: le silence de honte dans lequel se murent les mineurs, et le sentiment d’être responsables de ce qui leur arrive.

Martial Pugin, chef de la communication des forces de l’ordre, regrette l’invisibilisation de ces actes en rappelant que la police est là pour écouter les victimes. «Il nous est donc très difficile d’avoir une vision complète de ce phénomène grave chez les jeunes du canton. Mais ce qui est sûr, c’est que plus vite une victime nous signale un cas de pédopiégeage, plus rapidement nous pourrons l’aider, stopper ces agissements et retrouver l’auteur. Notre taux d’élucidation sur ces affaires dépasse les 80% ces dernières années.»

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