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Imposition minimale des grandes entreprises

La prosperité suisse en jeu le 18 juin

Sous la pression internationale, la Suisse doit augmenter la fiscalité des grandes entreprises. Enjeux de la votation du 18 juin 2023


25 avril 2023 à 04:01

Temps de lecture : 1 min

Impôt » L’enjeu de la votation du 18 juin sur la fiscalité des entreprises n’est rien de moins que la prospérité suisse. Ce projet complexe vise à fixer un taux minimal d’impôt de 15% pour les grandes entreprises. La ministre des Finances Karin Keller-Sutter est venue hier en expliquer les clés en compagnie de représentants des cantons et des villes. L’opposition au projet à gauche porte sur la répartition de la manne.

 

Mais d’où tombe cette réforme?

 

Ce n’est pas avec enthousiasme que la Suisse applique cette réforme, mais uniquement sous la pression internationale. Dans le but de mettre un frein à la très vive concurrence fiscale entre les pays, l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques) et le G20 (nations les plus industrialisées) ont convenu d’une imposition minimale à 15% des grandes sociétés internationales. Dans la foulée, 140 Etats se sont engagés à appliquer cette législation, en principe dès l’an prochain.

 

Pourquoi la Suisse n’esquive-t-elle pas?

 

Aucune sanction n’est prévue contre les pays récalcitrants. Mais un mécanisme redoutable les dissuade de le rester. Si la Suisse n’appliquait pas ce taux minimal, les filiales de ses entreprises à l’étranger pourraient y être taxées de manière complémentaire. Avec pour double inconvénient un manque à gagner pour les collectivités et des complications administratives pour les entreprises.

Karin Keller-Sutter résume ainsi l’enjeu: «Voulons-nous garder l’argent en Suisse ou le laisser filer à l’étranger? C’est là-dessus que nous votons!»

 

Quelles entreprises sont visées?

 

«Les 99% des entreprises suisses ne sont pas concernées par cette réforme», rassure la conseillère fédérale libérale-radicale. Le taux minimal de 15% ne s’appliquera qu’aux entreprises dont le chiffre d’affaires annuel dépasse 750 millions d’euros (735 millions de francs). Cela concernerait quelques centaines d’entreprises suisses et quelques milliers de filiales de groupes étrangers, selon la Saint-Galloise.

Ministre genevoise des Finances, Nathalie Fontanet (plr) évoque une fourchette de 300 à 600 entreprises dans son canton.

 

Combien vont-elles payer en plus?

 

Le système d’imposition actuel par les cantons n’est en rien modifié. Le nouveau taux de 15% fonctionnera comme un impôt complémentaire perçu par la Confédération. La manne espérée se situe entre 1 et 2,5 milliards de francs par an. A cela pourraient s’ajouter les recettes provenant de filiales en Suisse d’entreprises provenant de pays qui ne jouent pas le jeu.

 

Tous les cantons sont-ils concernés?

 

Sans surprise, en Suisse, c’est dans le canton de Zoug qu’il faut aller chercher le plus bas taux d’imposition sur le bénéfice des entreprises (11,85%). Et à Berne le plus haut (21,04%). Ce canton ne devrait donc pas être concerné par cette réforme tout comme le Jura et le Valais, en Suisse romande, qui ont aussi un taux supérieur à 15%.

Avec un taux aux alentours de 14%, les quatre autres cantons romands, eux, devraient l’être. A savoir, les cantons de Genève, Vaud, Neuchâtel et Fribourg.

Le conditionnel reste toutefois de rigueur, car l’OCDE va établir une assiette fiscale commune, afin d’éviter que les Etats ne contournent ce taux par des subterfuges, tels que les patent box, qui permettent de défalquer les charges de recherche et de développement.

 

Qui combat cette réforme?

 

Dans cette campagne, la situation est assez cocasse, avec la droite qui présente un front uni derrière cette hausse d’impôt et la gauche qui la combat majoritairement.

Le Parti socialiste milite pour le non. Les Verts ont choisi de laisser la liberté de vote, mais les Jeunes Verts ont aussi rejoint le camp du non. Bref, c’est un peu le monde à l’envers.

En réalité, c’est en grinçant des dents que les partis bourgeois et les milieux économiques soutiennent cette réforme inévitable, mais qui va faire perdre à la Suisse un atout compétitif. Et la gauche soutient avec enthousiasme cette harmonisation fiscale, mais c’est la répartition de la manne qui lui donne des boutons au point de s’y opposer.

 

Comment va se répartir la manne?

 

La gauche aurait souhaité que l’ensemble des nouvelles recettes atterrisse dans la poche de la Confédération, ou à défaut qu’on procède à une répartition moitié-moitié entre Confédération et cantons, comme l’a soutenu le Conseil national dans un premier temps. Mais en fin de compte, les trois quarts des recettes iront aux cantons concernés et un quart à la Confédération.

Nathalie Fontanet défend cette formule: «La Suisse perdra de fait une part de son attractivité économique. La réforme donne cependant les moyens à la Confédération et aux cantons de limiter cette perte d’attractivité.» Pour son homologue zurichois Ernst Stocker (udc), «la question centrale n’est pas celle de la répartition des recettes, mais de permettre que les entreprises concernées restent en Suisse». D’où la nécessité d’améliorer, selon lui, avec cet argent la compétitivité de la place économique.

 

A quoi va servir cette manne?

 

Sur la part de la Confédération, un tiers va alimenter la péréquation financière entre les cantons. Le solde servira à améliorer l’attractivité de la place économique suisse. Sont notamment envisagées des mesures pour renforcer la formation, la recherche et l’innovation, ainsi que pour améliorer la conciliation entre vie familiale et vie professionnelle, afin de lutter contre le manque de personnel qualifié.

Quant aux cantons, ils seront libres d’utiliser cet argent comme bon leur semble. Mais la perspective évoquée par Zoug d’abaisser la fiscalité des personnes physiques fait hurler la gauche. Nathalie Fontanet s’est montrée plus diplomate: «Des mesures cantonales dans le domaine de la recherche et du développement, de la formation, de l’énergie, de l’environnement ou du marché du travail pourraient compenser cette perte d’attractivité.» Et les trois ministres des Finances de rappeler en chœur que les cantons pauvres bénéficieront aussi de cette réforme au travers de la péréquation intercantonale.


«Les gens n’en profitent pas»

Les socialistes ne rejettent pas la réforme de l’OCDE, qui pousse les Etats à augmenter l’imposition des très grandes entreprises, mais son application par la Suisse. Pour le conseiller national vaudois Samuel Bendahan, elle se fait au détriment des classes moyenne et inférieure.

Le PS qui s’oppose à une hausse d’impôts, c’est plutôt cocasse…

Samuel Bendahan: Il faut être clair: même si nous retardons un peu la mise en œuvre de la réforme, il y aura une hausse d’impôts à 15% minimum pour les très grandes multinationales. Les pays ne peuvent pas l’esquiver. Par contre, ils peuvent capter la manne générée et la distribuer comme bon leur semble. Le PS dit non car la répartition de cette manne en Suisse – 25% pour la Confédération, 75% pour les cantons – est scandaleuse.

Carrément…

Avec la proposition d’application, de l’argent va être collecté et la population n’en profitera pas. Depuis trop longtemps, tout va dans le sens de baisses d’impôts pour les plus riches. Dernier exemple en date: l’abolition du droit de timbre, qui a heureusement été refusée par le peuple. Dans le même temps, les autres réformes péjorent le pouvoir d’achat, comme la hausse de l’âge de la retraite des femmes ou la baisse des prestations pour les enfants handicapés. Au final, les classes moyenne et populaire ne profiteront pas de cet impôt car l’application de la réforme se fait au bénéfice des cantons déjà riches qui abritent les très grandes multinationales.

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