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Chute de Credit Suisse. «La commission ne peut pas décevoir»

Simon Epiney a été le dernier vice-président d’une Commission d’enquête parlementaire. Interview

Simon Epiney a présidé pendant une quinzaine d’années la commune de Vissoie, ainsi que la commune fusionnée d’Anniviers.

13 juin 2023 à 00:47

Chute de Credit Suisse » Il ne reste plus beaucoup d’anciens élus ayant vécu de l’intérieur le travail d’une Commission d’enquête parlementaire (CEP). Le centriste (ex-PDC) Simon Epiney est l’un d’eux. Conseiller national de 1991 à 1999 puis conseiller aux Etats jusqu’en 2007, il se souvient bien de la dernière CEP, qu’il a vice-présidée. Instituée en 1995, elle avait fait la lumière sur les dysfonctionnements de la Caisse fédérale de pension. Selon le Valaisan, les élus qui enquêteront sur la chute de Credit Suisse seront soumis à une forte pression.

A quoi avez-vous pensé quand vous avez appris qu’une nouvelle commission d’enquête allait être instituée?

Simon Epiney: Je n’ai pas du tout été étonné. J’ai eu plusieurs contacts avec des personnes actuellement élues et je les ai encouragées à se prononcer en faveur de la CEP car mes expériences ont été largement positives. Le dossier en question nécessite d’aller au-delà des clivages politiques et une telle commission le permet.

Donc vous voyez l’institution de la CEP d’un bon œil.

Dans ma carrière, j’ai été président de la délégation des finances, un des principaux organes de surveillance du Conseil fédéral. Je sais à quel point il est difficile pour une commission ordinaire de consacrer du temps à une seule thématique dans des moments chauds politiquement comme aujourd’hui. La CEP déchargera les organes permanents.

Aussi, à l’époque, quand j’ai pris connaissance des outils d’investigation à disposition de la CEP, j’ai compris que nous ne pouvions pas y aller à la petite semaine. Nous pouvions poser toutes les questions, utiliser toute la panoplie de moyens à disposition. Plusieurs d’entre eux ne sont pas disponibles dans les commissions des finances ou de gestion. Une CEP a des droits quasi illimités!

Quelles sont les conditions pour une commission efficace?

Il faut des élus très disponibles et, surtout, un secrétariat très efficace. C’est lui qui permet à une commission d’enquête de fonctionner pendant plusieurs mois avec des membres motivés. Je précise aussi qu’une CEP a une immense aura auprès du parlement et de la population. Elle ne peut pas décevoir.

Une forme de pression.

J’ai été surpris de voir aussi bien les attentes du parlement que de la population. Il a fallu faire preuve de discrétion pour poursuivre notre travail sereinement. Au début, nous avions décidé de conserver le secret absolu. Par contre, par la suite, nous avons organisé régulièrement des points de presse. Car la commission n’aura pas l’œil de Moscou, mais l’œil de Washington, de New York et de la City de Londres.

En 2010, après la crise financière et le sauvetage d’UBS, vous n’étiez pas favorable à une commission d’enquête. Qu’en est-il aujourd’hui?

La grande différence, c’est l’ampleur de la crise. A l’époque, la crise financière s’est rapidement décantée, il y a eu une forme de relativisation. La pression des Etats-Unis paraissait aussi moins forte que dans le cas présent. Aujourd’hui, l’impact et l’indignation sont aussi plus importants car cela fait des années que Credit Suisse va mal.

«Il y a une prise de conscience qu’il faut s’interroger sur le mammouth financier qu’est devenue l’UBS»
Simon Epiney

Il y a une prise de conscience qu’il faut s’interroger sur le mammouth financier qu’est devenue l’UBS et que le système est bien plus fragile qu’on ne le pense. Par exemple, les membres vont sûrement demander l’avis d’autres banques privées, qui redoutent forcément une banque aussi grande qu’UBS 2.0.

Est-ce qu’une CEP peut vraiment aider pour cela?

Oui. Dans ma CEP, nous avons fait une trentaine de recommandations. La commission constituée dans l’affaire UBS-CS ira vraisemblablement dans le même sens. A l’époque, nous avons pu expliquer clairement comment le conseiller fédéral socialiste Otto Stich a induit le collège et le parlement en erreur et il a été épinglé. Je pense que les pouvoirs étendus dont dispose la commission permettront d’identifier les dysfonctionnements et les responsabilités.

La commission doit faire toute la lumière sur la fusion des deux banques. Est-ce que votre CEP a fait toute la lumière sur la caisse de pension?

Nous avons pu décrire objectivement les erreurs commises et le déroulement des opérations. Le domaine des caisses de pension est plus ésotérique que le secteur bancaire. Et dans celui-ci, la Suisse est au bénéfice d’un savoir-faire unique qui devrait permettre de faire toute la lumière. La commission a aujourd’hui une responsabilité particulière car l’affaire dépasse le cadre national et met en jeu notre crédibilité.

Certains questionnent l’utilité de la CEP, que les problèmes sont ailleurs, notamment au sein des dirigeants des banques. Et vous?

Les conseils d’administration des banques peuvent être inquiétés s’ils ont fait des erreurs. Dans notre commission, personne n’a été épargné. Le fait que les banques en question soient des sociétés privées ne change rien: elles devront rendre des comptes.

On parle de thérapie collective. Est-ce aussi le rôle de la CEP?

Oui, évidemment et nous le sentons dans la population. Le quidam se rend bien compte que ce qui est arrivé à Credit Suisse est censé être impossible en Suisse, pays des banques par excellence. Prenez les bonus: il ne faut pas être de gauche pour comprendre que dans cette affaire, c’est un scandale. C’est le type d’abus qui sape la confiance de la population dans les institutions bancaires et plus largement le parlement et le Conseil fédéral. Au-delà de la thérapie collective, une CEP doit donc permettre de désamorcer cette perte de confiance.

«Prenez les bonus: il ne faut pas être de gauche pour comprendre que dans cette affaire, c’est un scandale»
Simon Epiney

Comment se sent-on quand on intègre une CEP? En mission?

En mission, oui. Ceux qui font partie d’une telle commission se donnent à fond. Ils savent que c’est exceptionnel.

Quel est le profil pour être membre d’une CEP?

Il faut des crocheurs, des personnes qui ne lâchent pas le morceau et qui soient capables d’une grande ouverture d’esprit vis-à-vis de leurs collègues. C’est un mandat où l’on ne peut pas bricoler et où il faut aller au bout des choses, quelles que soient les retombées politiques.

Pensez-vous qu’être membre d’une CEP est un marchepied pour le Conseil fédéral?

Non. Etre membre d’une CEP est souvent le fruit du hasard. Nous entrons en année électorale et ceux qui intègrent la commission devront jongler entre elle et la campagne, ce qui n’est pas facile. D’ailleurs, le président de la commission à laquelle j’ai participé, Fritz Schiesser, un radical de haute compétence, avait largement le gabarit pour aller au Conseil fédéral. Or, ça n’a pas été le cas.

 

La fribourgeoise Isabelle Chassot sera bien membre de la commission

Comme le pressentait La Liberté lundi, la sénatrice fribourgeoise Isabelle Chassot (le centre) sera bien membre de la Commission d’enquête parlementaire (CEP).

Elle a été choisie par son parti aux côtés de la conseillère aux Etats Heidi Z’Graggen (UR) et du conseiller national Leo Müller (LU). Reste à savoir si l’un de ces trois élus dirige la CEP, les observateurs estimant que c’est à ce parti d’hériter de la présidence. Le Centre a soutenu depuis le début la mise en place d’une CEP, rappelle le parti dans un communiqué lundi. «Il est prêt à prendre ses responsabilités», affirme le conseiller national Philipp Matthias Bregy (VS), président du groupe parlementaire.

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