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Football

Manchester uni contre la cupidité

Les manifestations avant le derby d’Angleterre ont rappelé l’importance des supporters dans l’équation


6 mai 2021 à 23:16

Temps de lecture : 1 min

Football » La portée symbolique aurait difficilement pu être plus forte. Dimanche passé, les protestations d’un millier de fans de Manchester United à l’intérieur et aux abords du stade d’Old Trafford ont provoqué le report de la rencontre opposant les Red Devils au voisin de Liverpool. Une première dans l’histoire de la Premier League: jamais un match n’avait été renvoyé à cause du comportement de supporters. En s’attaquant à des policiers (deux blessés) et au derby d’Angleterre, les manifestants ont paradoxalement témoigné leur attachement aux valeurs historiques et populaires du football.

Celles-là mêmes que la famille Glazer, actionnaire majoritaire du club depuis 2005, bafoue, estime le groupe de soutien Manchester United Supporters’ Trust: «Ce qui s’est produit est le point culminant de 16 années au cours desquelles, sous la direction de votre famille, le club s’est enfoncé dans les dettes et le déclin, et nous n’avons jamais été aussi écartés et ignorés qu’actuellement.» Aussi brève fût-elle, l’intention du directoire mancunien de rejoindre la Super League n’aura finalement été que la goutte d’eau faisant déborder un vase déjà bien rempli par la transformation des stades fatale aux places debout au lendemain de la tragédie d’Hillsborough en 1989 (96 morts) et l’inexorable augmentation du prix des billets d’entrée.

Du poids par intérêt

Aux propriétaires américains, les inconditionnels du théâtre des rêves reprochent leur implication directe dans le projet avorté de ligue fermée et ultralucrative dont le directeur de ManU Joel Glazer était appelé à devenir le vice-président. A Manchester United, comme au sein des huit autres dissidents parmi les 12 clubs fondateurs à s’être retirés du projet et confondus en excuses quelques heures après le tollé que l’annonce de sa création a suscité, la désapprobation du peuple a pesé lourd dans la balance.

«Le sursaut populaire des supporters anglais», titrait Libération cette semaine, en se demandant si ce mouvement militant pour un football moins cupide pouvait s’inscrire dans la durée et donner lieu à un «Printemps des fans». Pour le professeur en sociologie des sports Fabien Ohl, ces derniers ont un rôle à jouer, «encore plus depuis l’avènement des réseaux sociaux qui leur permettent de se coaliser plus rapidement», pour autant toutefois qu’ils bénéficient de relais influents.

«La voix des supporters a été portée par de nombreux acteurs et en particulier par la FIFA et l’UEFA, qui avaient tout intérêt à ce qu’il en soit ainsi.»
Fabien Ohl

«La voix des supporters a été portée par de nombreux acteurs et en particulier par la FIFA et l’UEFA, qui avaient tout intérêt à ce qu’il en soit ainsi. Grâce à eux, l’UEFA ne défend pas seulement son pouvoir et ses ressources, qui dépendent beaucoup de la Ligue des champions, dans le combat qu’elle mène face à la Super League. Elle défend le football et les fans du monde entier. C’est plus noble», expose l’enseignant à l’Université de Lausanne.

Un problème de culture

De mieux en mieux structurés et composés de différentes couches sociales, ces groupes «ont été portés par une coalition d’acteurs», répète Fabien Ohl. Du premier ministre Boris Johnson à certains joueurs, nombreuses sont les personnalités à avoir appuyé la cause des «anti-Super League».

Un projet mort-né qui aura fait l’unanimité contre lui et réveillé des colères enfouies. «L’affaire montre que malgré les changements importants intervenus dans l’économie du football, avec le rachat de propriétaires venant de pays de l’Est, du Moyen-Orient ou des Etats-Unis, les supporters restent très ancrés localement. Les nouveaux propriétaires n’ont pas compris que le football est enraciné dans une culture qui n’est pas celles des ligues fermées permettant de stabiliser les affaires.» Et le sociologue de conclure: «Si les télévisions et les sponsors sont attirés par ce milieu, c’est qu’il y a un public qui suit derrière. Et celui-ci joue un rôle majeur.»

Majeur au point de mettre à mal la tenue de l’un des matches les plus regardés dans le monde et à terre un rêve de riches de plusieurs milliards de francs.


Les réseaux sociaux, une réponse instantanée

Arrosée de millions de mentions sur Twitter et sur les autres plateformes, l’officialisation de la Super League a agité les réseaux sociaux le 18 avril dernier. La jungle numérique: là où est née puis s’est organisée la révolte. «Les clubs doivent faire beaucoup plus attention lorsqu’ils communiquent en raison de l’effet de viralité. Avec des fans qui ont les moyens de se connecter ensemble et de trouver des gens qui pensent comme eux, aller manifester n’est plus la seule possibilité d’exprimer son mécontentement», rappelle Elio Sabo, directeur d’une agence de communication. Si la création d’une ligue privée réservée aux plus grandes puissances du football mondial était devenue un secret de polichinelle, ses fondateurs ont donné l’impression de foncer tête baissée. «Comme si cette décision avait été prise sans écouter préalablement le marché», s’étonne le Fribourgeois spécialisé dans la création de contenus numériques. «L’avantage des réseaux sociaux, reprend-il, c’est de donner une réponse claire et instantanée. En y allant à petits pas, les acteurs du projet auraient pu anticiper le bad buzz qu’ils ont subi.» PSC


La réforme freinée mais pas arrêtée

Malgré le huis clos imposé dans les stades cette saison, les ultras de National League ont milité contre la réforme du hockey suisse.

Autre réalité, autre échelle, mais même levier populaire. En Suisse, les groupes de supporters se sont mobilisés pour contrer la réforme de l’élite du hockey sur glace, qui prévoit plusieurs mesures, dont une augmentation du nombre de joueurs étrangers. «Le huis clos a restreint la marge de manœuvre de tout le monde», regrette le président des Fribvrgensis. Le groupe d’ultras fribourgeois, obligé de batailler ferme avant d’être autorisé à déployer une banderole antiréforme dans les gradins de la BCF Arena, s’est uni aux autres supporters du pays à travers l’interultras.

«La rencontre que nous avons eue avec les dirigeants de Gottéron s’est avérée stérile.»
Le président des Fribvrgensis

Avec l’appui crucial de la société des joueurs dirigée, le collectif a obtenu une première victoire: l’ajournement des décisions. «Nous avons eu un impact, estime le chef des Fribvrgensis. Les clubs ont dû mettre la pédale douce, ceci afin d’expliquer les tenants et aboutissants à leurs fans. Reste que la rencontre que nous avons eue avec les dirigeants de Gottéron s’est avérée stérile. Chacun campe sur ses positions.» Et d’ajouter: «On s’est rendu compte que les décisionnaires n’avaient pas l’intention d’enterrer la réforme.» Alors qu’il vient de lancer une campagne incitant les opposants à envoyer des cartes postales de protestation aux acteurs du projet, l’interultras envisage d’autres mesures, «pour montrer jusqu’au bout que nous ne sommes pas d’accord».

Directeur de la National League, Denis Vaucher assure que «tous les types de fans, les VIP y compris, ont une certaine influence», les ultras d’autant plus qu’ils sont «les haut-parleurs du public». «La voix des supporters est très importante. C’est d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles nous avons arrêté les démarches afin d’adapter le système», précise Denis Vaucher, qui ne pense pas avoir sous-estimé la force collective des groupes de soutien. «Nous avons surtout très mal communiqué», regrette-t-il.

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