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La légende d'Erhard Loretan tuée par la technologie?

Erhard Loretan n’aurait été au bout que de 13 sommets de plus de 8000 m sur 14, selon une enquête

Pas évident de distinguer le véritable point culminant du Dhaulagiri.

22 juillet 2022 à 04:01

Alpinisme » Devenu en 1995 le troisième homme à avoir gravi les quatorze 8000 m, Erhard Loretan n’aurait pas droit à la couronne qu’on lui prête depuis plus de 25 ans! Il n’aurait, selon un expert, pas été au point culminant du Dhaulagiri (8167 m, au Népal), qu’il a vaincu le 8 décembre 1985 avec Pierre-Alain Steiner et Jean Troillet.

«Il faut être malade pour prétendre qu’Erhard n’a pas grimpé les quatorze 8000. Je le connaissais comme un frère. Pour moi, ce qu’il a accompli ne fait aucun doute», réagit Pierre Morand, ami de l’alpiniste décédé au printemps 2011. Compagnon de cordée de Loretan sur huit 8000 m, dont le Dhaulagiri, Jean Troillet se montre catégorique: «Nous avons rencontré Miss Hawley (voir plus bas) après notre expédition. Nous avons raconté et elle a marqué. Je ne vois pas pourquoi nous nous serions trompés.»

Jean Troillet choqué

Les résultats de dix ans d’enquêtes pour vérifier les ascensions des alpinistes ayant gravi les 14 plus hauts sommets du monde ont été officialisés le 8 juillet dernier. Eberhard Jurgalski et son équipe ont analysé des photographies des sommets, des descriptions d’itinéraires des protagonistes et des correspondances. Il en ressort que seuls trois alpinistes (Viesturs, Gustafsson et Purja Pun Magar) sur 44 peuvent réellement prétendre à la couronne. Dans une interview parue ce jeudi dans le Tages-Anzeiger, l’expert allemand explique que tous les autres – dont le Fribourgeois Loretan, le Polonais Kukuczka et l’Italien Messner! – se seraient arrêtés à une antécime. Aucune femme n’aurait atteint tous les 8000, alors que quatre l’avaient affirmé. Les recherches ont été synthétisées sur une nouvelle liste, qui contredit les références précédentes.

«C’est quoi cette m…? J’ai répondu à un appel téléphonique il y a un an ou deux. On m’a dit que la photo étudiée n’était pas prise sur le sommet. J’ai expliqué qu’Erhard était déjà plus loin, d’où il avait pris la photo de Pierre-Alain et moi. Ensuite, nous l’avons rejoint au sommet et nous avons commencé la descente du côté sud. Aujourd’hui, deux personnes ne sont plus là et on revient avec ça! On n’a aucune preuve à fournir à ces gaillards! Pour moi, il (Jurgalski, ndlr) est un gars de basse altitude. C’est énervant de voir ça. Je suis choqué.»

«Il faut être malade pour prétendre qu’Erhard n’a pas grimpé les quatorze 8000.»
Pierre Morand

«On a souvent remis en question certains sommets», rappelle Benoît Aymon, réalisateur d’un portrait de Loretan, ainsi que de plusieurs films sur une montagne qu’il a également racontée sur papier. «A l’époque, Elizabeth Hawley, installée à Katmandou, était la voix de la vérité pour l’Himalaya. Certains alpinistes avaient peur d’elle.» Et d’avertir: «Dans l’alpinisme, des gens mentent. Ce n’est que le reflet de la société. Ils sont des héros avec, pour certains, leurs faiblesses. Par contre, la conclusion que trois seulement ont gravi les quatorze 8000 me paraît énorme.»

Des mobiles politiques

Les exploits de Loretan ne peuvent être effacés d’un coup de gomme. «Erhard a été le troisième alpiniste à réussir les quatorze 8000 sans oxygène. Il n’y a pas lieu de remettre en cause son honnêteté», assure Benoît Aymon, qui ne voit aucun mobile à cette déconsidération d’une des réussites du Fribourgeois. Il en irait différemment pour Maurice Herzog, considéré comme le premier à avoir gravi un 8000 m (l’Annapurna en 1950). «On doute que le Français soit effectivement arrivé au sommet. La photo où il célèbre son exploit, avec le drapeau tricolore, n’a pas été prise au sommet. Des analyses le prouvent.»

«Le nombre de sommets de plus de 8000 m est arbitraire.»
Simon Matthey-Doret

La technologie (GPS, satellites, etc.) permet de réécrire l’histoire. «Dans le cas d’Herzog, il manquerait 100 m de dénivellation pour arriver au point culminant. A cette altitude, cela représente deux heures d’effort. Et il faut redescendre», précise Benoît Aymon, qui ajoute: «N’oublions pas le contexte dans le cas d’Herzog. La France était en reconstruction après la guerre. Elle avait besoin d’un héros. Et ça, c’est un vrai mobile. Concernant Loretan, je ne comprends pas la polémique. Je fais la même remarque pour Messner…»

Trois sommets sèment la zizanie: l’Annapurna, le Manaslu et le Dhaulagiri, dont il est question dans le cas de Loretan. Les nouvelles technologies ont permis d’avoir des connaissances topographiques plus pointues. «Le nombre de sommets de plus de 8000 m est arbitraire. On pourrait tout aussi bien affirmer qu’il en existe 12, ou 18 si d’autres cimes se distinguent», rappelle Simon Matthey-Doret, journaliste à la RTS et fin connaisseur de la montagne. «Certains 8000 ont un sommet assez plat. On ne savait pas toujours où se situait précisément le pic le plus haut. Après, il y a une zone de tolérance. A l’époque, ils ont tous rendu compte de leurs ascensions de bonne foi. Avec le GPS, tout est plus précis. Il ne faut pas enlever leur couronne à ceux qui l’ont obtenue. Cela pose aussi une question éthique: doit-on relire l’histoire à l’aune de ces nouvelles découvertes?»

Déboulonnage à la mode

«Du point de vue de la moralité, Erhard Loretan n’a pas grand-chose à se reprocher», assure Jean Ammann, auteur de l’ouvrage Les 8000 rugissants consacré aux exploits du Gruérien. «La seule controverse dont je me souvienne concernant le Dhaulagiri (présentée comme première hivernale en face est, ndlr), c’est que cela s’est fait quelques jours avant le début formel de l’hiver…» Et le journaliste fribourgeois d’ajouter: «Une première qu’il avait effectuée en Antarctique avait été remise en cause. Plus tard, une cordée avait trouvé la trace de son passage, une cordelette, dans un endroit compliqué.» La véracité des dires de Loretan avait été prouvée.

Jean Ammann a eu de longs entretiens avec l’alpiniste vedette. «J’ai toujours le sentiment qu’il a joué franc jeu. Erhard a gravi son dernier 8000 en 1995 et une histoire ressort plus de 25 ans après…. Cela paraît douteux.» Et de conclure: «La mode est au déboulonnage des idoles. On enlève les statues et on fait tomber les alpinistes.»


Trois questions à Sophie Lavaud

Alpiniste et conférencière franco-suissesse de 54 ans, himalayiste depuis 2012

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