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Société

Zurich accueille les Nanas de Niki de Saint Phalle

Par-delà ses Nanas affranchies, l’œuvre de cette artiste irréductible est un bestiaire radical. A redécouvrir au Kunstmuseum de Zurich


23 septembre 2022 à 18:13

Beaux-arts » Elle est toujours là, au plafond de la gare de Zurich, Nana plantureuse illuminant le ciel bas des voyageurs pressés. L’Ange protecteur, beau comme une déesse pop en maillot de bain et qu’il faut dépoussiérer tous les trois mois à l’aide d’un plumeau, porte haut (11 mètres) l’art d’enluminer le réel. Puis on entre dans le Kunsthaus de la ville où se déploie une rétrospective consacrée à l’œuvre de sa créatrice. Un ange passe, voici les monstres. Chimères, sorcières, gorgones, toiles peintes à bout portant… Niki de Saint Phalle, l’irréductible!

A la croisée des avant-gardes et à l’écart des galeries, c’est un art total

Car l’artiste franco-américaine (1930-2002), entrée en pop culture grâce à la nonchalance expansive de ses silhouettes surféminines, ne saurait s’y laisser résumer. Derrière cet hédonisme bariolé dont elle n’a pas manqué d’exploiter en produits dérivés le potentiel commercial pour financer son indépendance créative, il y a une prolifération de gestes parfois sombres, virulents, radicaux. Son œuvre est à l’image de ce monumental crâne recouvert de miroirs colorés qui rutile à l’issue de l’accrochage: une cuirasse de joie sur le visage de la mort.

Spectacle moderne

Ainsi, le mérite de cette nouvelle rétrospective, qui fait suite à celle organisée en 2014 au Grand Palais de Paris et complète idéalement le panorama offert par les collections du Musée d’art et d’histoire de Fribourg, est de saluer l’artiste en sa complexité, en sa profondeur inquiète que la postérité a quelque peu édulcorée dans sa constitution du «mythe» Saint Phalle. Dans la très grande aile Bührle de l’institution zurichoise, une centaine de toiles, lithographies, photographies et sculptures en provenance de différents fonds (dont celui du MAHF), entrelacent ainsi l’œuvre et la vie pour en éclairer les diverses facettes.

Un parcours qui n’est pas chronologique mais qui s’ouvre toutefois avec ces peintures de jeunesse, exposées pour la première fois en 1956 à Saint-Gall par Catherine Marie-Agnès Fal de Saint Phalle, l’année de sa rencontre avec Jean Tinguely. Des toiles comme exutoire, au sortir d’une enfance ravagée par un père abuseur puis marquée par un séjour en hôpital psychiatrique. Fascinée tant par le fantasque Gaudi que par les exubérances brutes du Facteur Cheval, l’autodidacte se rapproche de la matière sous l’influence du métasculpteur qui deviendra son mari, créant des assemblages de bric et de broc transformés en tableaux-objets.

«Je ne peux pas changer la société, mais je peux proposer une vision incarnée par ces femmes joyeuses et dominantes»
Niki de Saint Phalle

Seule femme parmi les nouveaux réalistes, ces hérauts d’un art anti-abstrait puisant son matériau dans la vie, on la voit ensuite carabine en main, flinguant à vue des poches de peinture recouvertes de plâtre, bientôt sanguinolent de couleurs. Un spectacle moderne dont les reliques disent encore l’iconoclasme ludique. «C’était une extraordinaire sensation de tirer sur une peinture et de la voir se transformer d’elle-même en une nouvelle création. Ce n’était pas seulement excitant et sexy mais aussi tragique, comme si l’on assistait en même temps à une naissance et à une mort», écrira l’ancien mannequin devenu égérie de la provocation artistique.

Ambivalences qui semblent vibrer en son art gorgé d’une féminité tourmentée, déconstruite, célébrée. Il y a bien sûr ces silhouettes charnues qui deviendront sa marque de fabrique, emblèmes d’un imaginaire matriarcal qu’elle n’aura de cesse de défendre, en pionnière d’un féminisme qu’elle nourrira de ses icônes et de son engagement. «Je ne peux pas changer la société, mais je peux proposer une vision incarnée par ces femmes joyeuses et dominantes. C’est tout», explique-t-elle sur une vidéo de 1969.

Parmi ses réalisations les plus spectaculaires, cette parturiente-cathédrale présentée en 1966 au Moderna Museet de Stockholm, sculpture de 25 mètres de long intitulée Hon (Elle en suédois) que 100 000 visiteurs pénétreront en passant entre les cuisses de «la plus grande putain du monde». A l’intérieur, Tinguely installera un planétarium dans le sein gauche, un bar à lait dans le droite, ainsi qu’une galerie de faux tableaux de maître. L’impudeur est une joie.

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