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Société

Une mode pour tous les corps

Un manifeste réclame des habits pouvant être portés par toutes les personnes, handicapées ou non

Avec la HEAD, ASA-Handicap mental a organisé en février un atelier sur la mode inclusive. L’occasion de développer des vêtements et accessoires adaptés au handicap de Maud Leibundgut, psychologue et danseuse française.

21 mai 2021 à 20:41

Militance » «Quand je sors de la maison et qu’il pleut, je dois mettre une cape de pluie. J’en ai une brune pour l’hiver et une bleu pétant pour l’été. Je n’ai pas eu le choix, parce qu’il n’y a pas de choix. Ces capes renvoient une image de moi, et cette image, elle m’est imposée. Quand on vous dit: «Ce sera ce tissu, ce sera cette couleur, ce sera ce motif», comment exprimer ce qu’on est vraiment?» Jérôme Gaudin est psychologue de formation, actif dans le conseil et la formation autour des questions de handicap, et paralysé cérébral. Cette dernière caractéristique le contraint à utiliser un fauteuil et, par conséquent, une cape les jours de pluie.

Comme des milliers de personnes en situation de handicap dans notre pays, Jérôme Gaudin ne peut pas librement choisir ses vêtements, car la mode n’est pas adaptée aux contraintes de son quotidien. A l’initiative de l’association ASA-Handicap mental, il a rédigé avec de nombreux autres militants le premier manifeste suisse de la mode inclusive. Celui-ci sera présenté jeudi à la Comédie de Genève, dans le cadre du second colloque Tu es canon, qui promeut le design de vêtements adaptés à tous.

Pantalons taille basse

«A travers les habits et les accessoires, nous exprimons notre personnalité et en même temps l’envie de faire partie d’une mouvance commune, le désir de plaire à nous-mêmes aussi bien qu’aux autres», affirme le manifeste. Pourtant, cela n’est, et de loin, pas possible pour tout le monde. Si vous êtes un peu plus gros, un peu plus grand, un peu plus petit, il y a des chances que vous ayez déjà des difficultés à trouver, littéralement ou symboliquement, chaussure à votre pied dans une industrie de la mode hautement normative. La situation est pire encore, cependant, dès lors que vous avez un handicap.

Un exemple? «Il ne sert à rien de donner un exemple spécifique, car il existe une multitude de handicaps», remarque Jérôme Gaudin. «Mais comme vous insistez… j’ai des problèmes de préhension, les boutons de chemises sont très difficiles à mettre, mes difficultés de coordination me font courir le risque de déchirer une manche si le tissu est trop rigide ou m’empêchent de tendre la jambe si le canon est trop serré. La mode des pantalons taille basse était une catastrophe, car ils descendaient un peu plus à chaque fois que je me reculais sur ma chaise. A la fin de la journée, je les avais aux genoux!» Comment, dans ces conditions, être beau, ou même simplement digne?

L’histoire des trottoirs

Un travail de longue haleine, amorcé il y a des décennies aux Etats-Unis, porte désormais ses fruits. Les personnes en situation de handicap ne se pensent et présentent plus aujourd’hui comme des sujets subissants, victimes de leurs différences, mais comme des acteurs inspirants, riches de ces dernières. Cette nouvelle clé de lecture permet de réinterpréter les rapports qu’ils entretiennent avec la mode. Ce n’est pas que leurs corps sont inadaptés aux vêtements, mais plutôt que les vêtements sont mal pensés. Pourquoi, en effet, faudrait-il des petits boutons difficiles à passer là où il existe des boutons aimantés?

«La mode des pantalons taille basse était une catastrophe, car ils descendaient un peu plus à chaque fois que je me reculais sur ma chaise. A la fin de la journée, je les avais aux genoux!»
Jérôme Gaudin

In fine, l’objectif d’une mode inclusive n’est pas de créer des «vêtements pour handicapés», mais des vêtements qui fonctionnent vraiment pour tout le monde. Le design inclusif n’est rien d’autre qu’un «vrai bon design». L’exemple le plus célèbre de cette dynamique est peut-être l’abaissement des trottoirs. C’est grâce aux actions de militance de personnes handicapées que désormais les parents poussant des poussettes, les enfants en trottinettes, les personnes âgées avec leurs déambulateurs, peuvent monter et descendre des trottoirs. Autre exemple, les chaussures Go FlyEase, sorties en début de cette année et développées en collaboration avec des personnes en situation de handicap, peuvent se mettre sans les mains. Bien que particulièrement adaptées en cas de handicap, elles sont susceptibles d’intéresser tout un chacun, et Nike l’a bien compris: dans sa vidéo promotionnelle, on ne voit aucune personne handicapée.


Cela n’est pas passé inaperçu. Car accessibilité – développer des habits que tous puissent porter – rime avec représentativité. Dans le domaine, l’industrie de la mode a fait quelques progrès, avec par exemple les mannequins grande taille. Mais les personnes en situation de handicap se retrouvent trop rarement encore sur les podiums ou dans les campagnes de publicité. Or, la représentativité compte: «La mode a cette capacité extraordinaire de mettre en valeur les personnes, de les rendre familières, de nous permettre de nous identifier à elles», analyse Teresa Maranzano, de ASA-Handicap mental. «Il suffit de voir l’exemple de Sinéad Burke.» La militante irlandaise, atteinte d’achondroplasie, a été la première personne de petite taille a assister au Met Gala et à faire la Une d’un Vogue dans le monde.

Petits changements

Côtoyer les grands noms de la couture, est-ce toutefois suffisant pour permettre à toutes les personnes en situation de handicap d’accéder à ce «langage universel qu’est le style», selon l’expression utilisée par Teresa Maranzano? Les rares exemples de vêtements inclusifs – la marque Tommy Adaptive et les Go FlyEasy – restent – ou sont devenus en raison de leur rareté – trop chers pour des personnes touchant une rente AI. Quant aux grandes chaînes de prêt-à-porter, elles ne se sont pas encore lancées. «La fast fashion a renforcé le phénomène d’exclusion en imposant des tailles et des mesures plus normées encore. Mais les gens veulent consommer autrement désormais. Je pense que la mode inclusive est une piste très intéressante, autant pour les consommateurs que pour les producteurs. En effet, selon l’Organisation mondiale de la santé, 25% de la population mondiale est en situation de handicap. C’est un marché immense et inexploité», note Teresa Maranzano.

Et pour ceux qui ne voudraient rien revoir à leur catalogue, il suffit parfois de petits changements. «Personnellement, avoir des vendeurs bien formés, qui prennent le temps de me montrer les vêtements, de me conseiller sur les couleurs, cela change tout. Leurs yeux me permettent de poser un regard sur mes vêtements», note Verena Kuonen, coprésidente d’Inclusion Handicap, l’association faitière des organisations suisses de personnes handicapées, qui a perdu la vue. «Etre en situation de handicap me fait sortir du lot, si je suis mal fagotée, les gens pensent que je suis une «pauvre handicapée». Rien n’est moins vrai.»


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