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Religions

La fabuleuse histoire des Rois mages

Le récit des Rois mages venus d’Orient pour adorer Jésus à Bethléem, évoqué très sobrement dans l’Evangile canonique de Matthieu, s’est enrichi à travers les siècles de nombreuses anecdotes, souvent merveilleuses, grâce à divers écrits apocryphes non reconnus par l’Eglise mais très populaires. Ce sont ces textes qui ont nourri l’imaginaire des croyants, des artistes et des écrivains.

Le triptyque de l’Adoration des mages du peintre primitif flamand Hans Memling (vers 1470), avec les rois Gaspard, genou à terre, présentant une offrande, Melchior agenouillé, le plus âgé, et le jeune Balthasar, levant son chapeau en signe de salut. Sur le volet de gauche, la Nativité. A droite, la Présentation au temple. © Musée du Prado/Madrid/DR

5 janvier 2024 à 17:25

Epiphanie » En 1164, un précieux convoi transportant trois squelettes quitte la ville de Milan, mise à sac par les troupes impériales de Frédéric Ier Barberousse. Il traverse les Alpes, s’embarque sur le Rhin et atteint Cologne, où l’archevêque Renaud de Dassel expose ce noble cadeau offert par l’empereur en remerciement des services rendus lors de sa campagne d’Italie. Ce sera le dernier voyage des Rois mages. Déposés dans une inestimable châsse en or, argent et pierreries de l’orfèvre Nicolas de Verdun, qui resplendit dans le chœur de la gigantesque cathédrale de Cologne (construite dès 1248), ils vont attirer les pèlerins par milliers, la cité rhénane devenant la quatrième ville sainte du christianisme après Jérusalem, Rome et Constantinople.

La vénération des «rois bénis» va encore se renforcer dans toute la chrétienté grâce à plusieurs récits hagiographiques, dont la célèbre Légende dorée (vers 1255) de Jacques de Voragine. Le maître scolastique raconte que les trois corps avaient été retrouvés en Terre sainte par Hélène, mère de l’empereur Constantin. Emmenés à Constantinople pour être vénérés, ils ont ensuite été offerts à saint Eustorge, l’évêque de Milan, qui les a transférés dans sa cité. Au XIVe siècle, dans sa très populaire Histoire des trois rois, le théologien Jean de Hildesheim précise que les reliques ont dû quitter Constantinople en raison d’une persécution contre les chrétiens.

Origine évangélique

Cet engouement populaire extraordinaire pour les Rois mages, qui se perçoit encore chaque 6 janvier dans le partage de la traditionnelle galette des rois, repose au départ sur un très bref récit de douze versets de l’Evangile selon Matthieu, le seul du Nouveau Testament à évoquer la venue à Bethléem de «mages du Levant». Ces astrologues, qui affirment avoir vu l’étoile du «roi des Juifs» se lever, veulent se prosterner devant lui. Ils se renseignent d’abord auprès du roi Hérode, à Jérusalem, puis suivent l’étoile qui vient se placer «au-dessus de l’enfant». Remplis d’une grande joie, ils lui offrent de l’or, de l’encens et de la myrrhe, se retirant ensuite sans tarder dans leur pays.

«Les écrits apocryphes témoignent éloquemment de la vitalité des traditions et légendes»
Paul-Hubert Poirier

Le texte canonique ne précise ni leurs noms, ni leur nombre, ni leurs âges, ni même leur royauté. Sa portée universelle permet en revanche de souligner que la Bonne Nouvelle est destinée à toutes les nations. Saint Augustin dira que Jésus s’est manifesté aux Juifs à Noël, aux païens à l’Epiphanie. L’Epiphanie, c’est cette «manifestation» du fils de Dieu au milieu des hommes. Elle est commémorée le 6 janvier en Occident depuis le IVe siècle, des textes l’attestant vers 350 à Rome et en 361 à Paris.

Pour faire passer ce message d’universalité, l’Evangile selon Matthieu s’est peut-être inspiré d’un très ancien mythe indien racontant que des prêtres astrologues zoroastriens de la région de Kandahar passaient leurs nuits à observer le ciel, attendant l’apparition d’une étoile annonciatrice de la naissance d’un enfant, conçu par une vierge, qui apporterait la paix dans le monde entier.

Piété populaire

Mais ce qui a nourri l’imaginaire des croyants, des artistes et des écrivains, ce sont les récits apocryphes, qui ont brodé toute une légende autour de l’Evangile canonique. Composés jusqu’au début du Moyen Age en diverses langues, ces écrits «témoignent éloquemment de la vitalité des traditions et légendes qui se sont cristallisées autour du personnage de Jésus de Nazareth», souligne l’historien du christianisme ancien Paul-Hubert Poirier, en préface des Evangiles canoniques et apocryphes, édités dans La Pléiade (2023). Considérés comme non authentiques par l’Eglise, sans être perçus pour autant comme fallacieux, ces textes «cachés» circulaient allègrement, favorisant la piété populaire et satisfaisant la curiosité des chrétiens.

L’Evangile du Pseudo-Matthieu, daté entre le Ve et le VIIe siècle, précise par exemple qu’outre l’or, l’encens et la myrrhe, les trois mages offrent de «très riches présents à Marie et Joseph» et chacun «une pièce d’or» à Jésus. Le texte place l’adoration des mages deux ans après la naissance du Christ. Il répond en cela à une tradition tardive très répandue, comme en témoignent le père de l’exégèse biblique Origène, l’évêque Eusèbe de Césarée ou l’évêque Epiphane, l’un des Pères de l’Eglise.

Lange divin

L’un des apocryphes les plus imaginatifs, s’agissant de l’épisode des mages, est la Vie de Jésus en arabe, ou Evangile arabe de l’enfance. Rédigé vraisemblablement en syriaque au Ve ou VIe siècle, ce texte au ton merveilleux cite la prophétie de Zoroastre, «au temps de Moïse», qui annonce «une étoile plus brillante que la clarté du soleil» qui serait en réalité «un ange de Dieu». Le texte met en scène trois mages pour porter les trois offrandes, mais précise qu’ils ont pu être «douze, fils de leurs rois», voire «dix fils de rois accompagnés d’environ 1200 serviteurs». Ces «Persans» reçoivent en cadeau de Marie un lange de l’Enfant Jésus. A leur retour au pays, ils le jettent dans les flammes lors d’une cérémonie, mais le précieux cadeau reste intact. «Ceci est la Vérité, sans aucun doute. C’est une chose divine puisque le feu n’a pas pu le brûler», s’exclament-ils avec grand respect. Suivent toute une kyrielle de miracles attribués au tissu immaculé.

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