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Société

La violence des femmes, un tabou?

Les femmes sont capables de violences comme les hommes. Mais la leur reste peu documentée


30 janvier 2023 à 12:32

Egalité » Les femmes occupent rarement les boxes des cours pénales ou les cellules des prisons. Elles restent minoritaires dans la police ou dans l’armée. D’abord définies comme des victimes, les femmes ont-elles même le droit d’être violentes? Quand elles le sont, la sanction est-elle la même que celle des hommes? Et comment les mères infanticides sont-elles perçues? Coline Cardi, sociologue du genre, a consacré une partie de ses recherches à la déviance, et codirigé avec Geneviève Pruvost Penser la violence des femmes. Cet ouvrage collectif qui réunit des études historiques, anthropologiques, sociologiques, linguistiques et littéraires, veut dénaturaliser, historiciser et politiser la violence des femmes. Coline Cardi intervenait il y a quelques jours dans le cadre du festival Ecrire Pour Contre Avec, organisé par la Maison Rousseau et littérature, à Genève.

Pourquoi consacrer un livre à la violence des femmes?

Coline Cardi: Contrairement à ce que l’on peut croire, cette violence n’est pas taboue: la littérature regorge de figures qui ont laissé une empreinte très forte dans l’imaginaire collectif – Médée, les mères maquerelles, les Amazones.

«La violence des hommes était si écrasante qu’étudier celle des femmes n’avait pas d’intérêt»
Coline Cardi 

Mais quand il s’agit de penser cette violence, on s’aperçoit que les sciences sociales disposent de très peu d’outils. Quand Cécile Dauphin et Arlette Farge ont publié un livre sur la question en 1997, elles se sont heurtées au silence de la science – encore très androcentrée – autant qu’à celui des féministes. Pour celles-ci, la violence des hommes était si écrasante qu’étudier celle des femmes n’avait pas d’intérêt. Depuis, la situation a changé: beaucoup de travaux ont été consacrés aux violences masculines, mais aussi au trouble dans le genre, avec notamment la question de la transidentité. Ce livre veut redonner aux femmes leur statut de sujet, et leur droit à la violence comme une dimension possible de leur existence.

Si la violence des femmes reste peu évoquée, c’est aussi qu’elle est nettement plus marginale.

En effet, les femmes sont statistiquement peu présentes dans l’univers pénal: en France, elles représentent 3% seulement des personnes incarcérées. C’est aussi que leur violence est plus réprimée en amont. De plus, la sociologie de la déviance est centrée sur les hommes. Les femmes sont peu prises en compte jusque dans la manière de définir la violence et les policiers ont peu en tête qu’un délinquant peut être une délinquante. Il y a donc un sous-enregistrement de ces violences.

Les femmes bénéficieraient-elles d’un traitement préférentiel?

Elles sont en effet moins sanctionnées. Notamment parce que leur violence est pathologisée. Les jeunes filles seront davantage prises en charge au niveau éducatif pour les resocialiser, notamment au regard de normes de genre relativement traditionnelles. Un contrôle social se solde ainsi par un autre.

«Pour bénéficier d’un traitement particulier, il faut se conformer à une certaine vision de la féminité»
Coline Cardi 

Cette socialisation des femmes à la discipline et à la douceur, pensées comme des attributs du féminin, s’observe dès l’enfance et passe par une surveillance accrue des corps. Sur les terrains des équipes féminines de football, on constate très peu d’actes de violence. Des sociologues se sont demandé pourquoi et ils ont réalisé que lors de ces matchs, les arbitres sifflent très tôt. Le contrôle social est extrêmement efficace…

Mais en effet: sur le terrain judiciaire, ces formes de protection réactivent ce qui a fondé la justice des mineurs; un délinquant est d’abord un enfant en danger.

A noter que cette protection est relative et ne concerne pas toutes les femmes: pénalement, celles qui portent atteinte à leurs enfants prennent lourd, comme les filles qui se masculinisent: pour bénéficier d’un traitement particulier, il faut se conformer à une certaine vision de la féminité.

Vous évoquez la question des infanticides. Comment comprendre ces crimes?

Il faut s’intéresser à leur logique sociale et éviter les lectures psychiatrisantes, individuelles, qui posent ces femmes comme des monstres. Je pense que les infanticides ont beaucoup à voir avec l’énorme difficulté du care (soin) – et donc avec la division sexuée du travail. Le poids du travail domestique, largement assuré par les femmes, est très sous-estimé. Aujourd’hui, une femme, ou plutôt certaines femmes, peuvent thématiser cette difficulté et chercher de l’aide. Largement pas toutes.

Historiquement, les néonaticides ont d’ailleurs constitué une forme de régulation des naissances. C’est encore parfois le cas, de la part de femmes qui ont peu accès à la contraception, comme le montrent les travaux de la sociologue Julie Ancian.

En matière de violences domestiques, on oppose souvent les coups physiques des hommes aux coups psychologiques des femmes…

En suggérant aussi que ceux-ci seraient bien plus importants. Dans notre ouvrage, nous nous sommes cantonnées aux violences physiques. Précisément pour sortir de l’idée que la violence féminine serait avant tout psychologique. Sur ce point, on observe une perception différenciée de la violence, qui attribue aux femmes l’idée d’une violence psychologique qui leur serait propre. Dès qu’une femme hausse la voix, elle peut être perçue comme violente; pas un homme.

En matière de violences domestiques, une idée répandue veut que les hommes portent moins plainte. Les études montrent en réalité qu’ils se considèrent très tôt comme victimes de violence, là où le seuil de tolérance est beaucoup plus important pour les femmes victimes.

La violence des femmes s’exerce aussi contre elles-mêmes…

En effet, d’un point de vue statistique, les femmes portent davantage atteinte à elles-mêmes: par exemple, elles sont surreprésentées parmi les personnes auteures de tentatives de suicide. On songe également à certaines maladies psychiques comme l’anorexie. Là encore, il est important d’y voir l’expression de phénomènes sociaux. Cela renvoie à des formes de socialisation très genrées (s’en prendre à soi-même plutôt qu’à l’autre).

Ces violences constituent une forme de remise en cause de l’ordre social. Malheureusement, elles sont souvent renvoyées au domaine privé, analysées au travers des catégories de la psychologie. Pour vous donner un exemple, lorsque j’enquêtais en prison, une des femmes détenues avait entamé ce qu’elle nommait elle-même une grève de la faim: elle avait décidé de ne plus se nourrir car elle jugeait sa peine et les conditions carcérales injustes. Ce geste de protestation a été interprété comme une forme d’anorexie par l’administration pénitentiaire – une manière de dépolitiser son geste. Le Courrier

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