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Société

Etre gros et se sentir à l’étroit

L’aménagement public et les transports en commun ne sont pas pensés pour les corps gros

Les transports publics sont très rarement adaptés aux personnes grosses.

5 septembre 2022 à 14:55

Temps de lecture : 1 min

Série (5/5) » Le surpoids, dans une société qui voue un culte à la minceur, suscite trop souvent des stigmatisations ou comportements déplacés.

Un tourniquet d’entrée dans lequel il faut se contorsionner, des toilettes dans lesquelles il est impossible de se retourner, une ceinture de sécurité trop courte ou un strapontin qui menace de céder… Le quotidien des personnes grosses est semé d’embûches. Le mobilier, les transports, les lieux de culture ne sont pas pensés pour les gens qui ont de l’embonpoint. Leurs corps «débordent» en permanence. Et si la manière d’agencer l’espace public reflétait la haine des gros?

C’est ce que dénonce Fat Friendly. L’association basée en France et en Belgique affirme que «plus on grossit, plus notre univers se rétrécit». Elle souhaite «redonner le droit aux personnes grosses d’occuper l’espace qu’elles sont légitimes d’occuper». Virginie Devroye est l’un des fers de lance de ce groupe qui lutte contre la grossophobie.

«Je viens de passer un an dans une salle de cours inadaptée. Si j’ouvrais la tablette intégrée au siège pour prendre des notes, ça me coupait la respiration. C’est un exemple qui illustre que faire des études, boire un verre, prendre un bus ou assister à un spectacle est beaucoup plus compliqué pour les personnes grosses», témoigne la psychologue installée à Liège. «Mes copines minces ne se demandent jamais si leurs fesses entreront dans un siège. Nous, nous devons tout anticiper. Cela ajoute une charge mentale très importante. C’est un angle mort, impensé de notre société.»

L’angoisse de la chaise

«L’urbanisme s’ajoute au regard des autres pour rappeler sans cesse aux gros que l’espace public n’est pas pensé pour eux», écrivent Daria Marx et Eva Perez-Bello dans leur ouvrage «Gros» n’est pas un gros mot – chronique d’une discrimination ordinaire. «D’ailleurs le mobilier tout court n’est pas conçu pour les personnes grosses: pour le gros qui sociabilise, la chaise est un sujet d’angoisse.» Les sièges de restaurants ou cafés sont particulièrement étroits ou inconfortables. En général, j’évite d’aller dans les lieux que je ne connais pas ou les espaces étriqués où je prends de la place», complète Louise*.

42%

de la population en suisse est considérée en surpoids

Parmi les lieux où le problème semble le plus criant, les transports publics. En Suisse, alors que 42% de la population est considérée en surpoids, la plupart ne disposent que de peu, voire d’aucun siège de large dimension, si ce n’est les CFF en première classe. Les personnes grosses adoptent donc des stratégies pour s’adapter à un environnement hostile. «Je cherche des places à prix réduit en première classe afin d’avoir plus d’espace mais tout le monde ne peut pas se le permettre», témoigne Melanie Dellenbach, l’une des fondatrices de l’association Body Respect Schweiz. «Si le wagon est bondé, je reste debout. Comme mes hanches dépassent, lorsqu’une personne s’assied à côté de moi sur un siège normal, je reçois souvent des regards désapprobateurs», relate cette ancienne infirmière.

De telles agressions, Louise les subit également à Lausanne. «Lorsque je prends le métro aux heures de pointe, comme mon corps prend de la place, je ne me sens pas légitime d’être là.» Virginie Devroye dénonce la violence de ces lieux, dont les corpulents se sentent mis à ban. «Nos fesses sont souvent prises dans les bordures de siège ou entre les accoudoirs. Après quinze, trente minutes ou deux heures, c’est intenable et très douloureux. J’ai souvent des bleus sur la moitié des cuisses.»

«Je cherche des places à prix réduit en première classe afin d’avoir plus d’espace mais tout le monde net eut pas se le permettre» 
Melanie Dellenbach

Lorsqu’on prend l’avion, mieux vaut avoir un corps dans la norme. «J’ai récemment volé alors que je ne l’avais pas fait depuis sept ans. J’ai réussi à entrer dans le siège et à fermer la ceinture de sécurité en la faisant passer sous mon ventre», témoigne la militante de Fat Friendly. «A chaque fois que les hôtesses passaient, je devais soulever mon ventre pour montrer que la ceinture était bien bouclée. C’est une humiliation supplémentaire.» Les portails de sécurité, les sièges des salles d’attente ou encore les toilettes sont également souvent problématiques.

Si aujourd’hui, la plupart des compagnies disposent d’extensions de ceinture, il est gênant de les demander. Les personnes dont le corps n’entre pas dans les fauteuils doivent casser la tirelire pour réserver soit un second siège, soit une place en classe affaires. Interrogé, Swiss ne propose pas de rabais dans ces circonstances.

Une violence symbolique

«La violence symbolique de ces lieux est extrême. Rien n’est fait pour accueillir des personnes aux corps différents. La course à la rentabilité pousse les entreprises à réduire l’espace pour augmenter le nombre de places et leurs bénéfices. Je les fuis dès que je peux», commente Virginie Devroye. «Si les personnes grosses sont inconfortables dans la plupart des lieux, celles très grosses sont complètement exclues», complète Melanie Dellenbach.

«La course à la rentabilité pousse les entreprises à réduire l’espace pour augmenter le nombre de places et leurs bénéfices»
Virginie Devroye

Il est conseillé aux gens qui ont de l’embonpoint de pratiquer des activités physiques, pourtant les salles de sport ou les piscines restent peu accueillantes. «Pour sortir de l’eau, il faut pouvoir se tracter. Les échelles sont souvent étroites et ne sont pas prévues pour les personnes qui font 150 ou 170 kilos», explique Virginie Devroye. Certaines machines de sport sont conçues pour des personnes pesant jusqu’à 135 kilos, plus rarement 182 kilos, avance Activ Fitness, leader du secteur en Suisse.

«Tout le monde s’en fout»

L’accès à la culture n’est pas non plus inclusif, en raison des rangées souvent serrées, des accoudoirs ou des strapontins étroits. «Quand tu es grosse, tu n’as plus envie de sortir, tu restes chez toi, tu t’isoles. Ces situations poussent parfois au suicide», dénonçait la DJ Barbara Butsch dans une vidéo diffusée par Konbini en 2021. Celle-ci suggère d’ajouter quelques sièges plus larges sur le bord des rangées. «Pourquoi toutes les infrastructures ne sont pas élargies? Tout le monde serait plus confortable», s’interroge Louise.

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