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Des ténèbres à la lumière

Procureur écrivain ou l’inverse, Nicolas Feuz voit la vie en noir dans ses livres et en rose lorsqu’il s’expose

Nicolas Feuz souhaite, ces cinq prochaines années, cesser son activité de procureur à Neuchâtel pour se consacrer totalement à l’écriture.

5 septembre 2021 à 19:26

Rencontre » Il est arrivé sans fracas. Au guidon de sa moto, en tee-shirt, jeans et bottes. Au lac chemise et cravate! Nicolas Feuz en toute simplicité. Souriant, sympa, accessible, les tatouages à l’air. Alors, il raconte qu’ils sont taillés sur mesure, histoire de ne pas dépasser, surtout des chemises à manches courtes. Tout est donc soigneusement calculé. Un peu à son image, d’ailleurs. Un soupçon d’originalité, de rébellion et d’audace camouflé qui ressort là où on ne l’attend pas et de manière soigneusement contrôlée. Procureur à Neuchâtel, ce futur quinquagénaire est aussi écrivain. Auteur d’une dizaine de polars, il affectionne autant les ténèbres que la lumière… Mais quel plaisir de la partager, près de chez lui, au bord du lac de Neuchâtel.

Nicolas, quel est votre vrai job: procureur écrivain ou l’inverse?

Nicolas Feuz: (Il rit). Durant des années, aux yeux de la presse, j’étais surnommé le procureur écrivain et, depuis deux ans, c’est l’inverse.

Quelle appellation a votre préférence?

L’actuelle me plaît bien car elle est une suite logique et souhaitée vers ce à quoi j’aspire, soit être à 100% écrivain.

Vous travaillez, depuis cette année, à 70% comme procureur. Ce job ne vous plaît plus?

J’écris un roman par année depuis 2010, alors même que j’étais procureur à temps complet. Le facteur déclenchant pour diminuer mon taux d’occupation a été l’ouverture, en 2018, au marché français et belge. Les demandes de participation à des salons et séances de dédicaces en librairies ont, dès lors, été plus fréquentes. En mai par exemple, quand mon dernier livre est sorti, j’ai participé à une quarantaine de dédicaces. Concernant mon travail de procureur, je ne cache pas que je préférais celui de juge d’instruction, que nous faisions jusqu’à la réorganisation en 2011. Idéalement, je souhaiterais diminuer mon temps de travail à 50% d’ici deux ans, et un arrêt total dans cinq ans.

Heresix de Nicolas Feuz, Edition Slatkine, 2021

Vous ne pourrez plus puiser votre inspiration dans votre travail de magistrat. Ça ira?

Ce n’est pas grave! Cela fait plus de 22 ans que je suis magistrat et que je travaille tous les jours avec la police judiciaire, certains sont devenus des amis, donc ça ira… Et puis, j’ai toujours dit que, certes, je m’inspire de mon métier, mais seulement de généralités et d’ambiances.

Le fait d’avoir occupé cette fonction est pour beaucoup dans le succès de vos livres, non?

Oui, c’est évident. Lorsque les premiers livres sont sortis, la presse a suivi parce que j’étais procureur. Sinon, cela n’aurait intéressé personne, en tout cas pas immédiatement.

Vous auriez pu opter pour un pseudonyme…

Je me suis posé la question au tout début et j’en avais même discuté avec une libraire de la région. Un nom d’emprunt ne servait à rien, sachant que j’allais participer à des séances de dédicaces et des salons littéraires.

Financièrement, vous arriveriez à ne vivre que de l’écriture?

Actuellement, non, mais c’est en bonne voie. Je dois encore attendre de percer en France, ce sera décisif. Aucun écrivain ne peut vivre matériellement de la vente de livres en Suisse romande car le marché est trop petit.

D’où vos innombrables séances de dédicaces. Franchement, vous aimez ça?

Oui, cela permet aussi de se faire connaître.

Vous aimez beaucoup la lumière, non?

Ça fait partie du personnage, du job. La lumière, la notoriété, je mentirais en disant que cela ne me plaît pas. Mais il y a toujours le revers de la médaille.

Laquelle?

J’ai dû apprendre à vivre en jonglant entre une fonction qui impose une certaine retenue et une activité d’écrivain qui est davantage exposée. Le tout sous l’œil attentif du Conseil de la magistrature.

Avez-vous dû beaucoup vous justifier?

Non, mais lorsque mon activité d’écrivain à commencer à prendre de l’ampleur en 2017-2018, il y a eu quelques grincements et on m’a rappelé que je ne devais pas utiliser ma fonction de procureur pour faire la publicité de mes livres.

Ce que vous faites quand même légèrement…

De toute façon, tous les journalistes connaissent ma fonction, et ce qui les intéresse est d’écrire un article sur l’écrivain procureur.

Une photo de vous torse nu dans un hebdomadaire romand vous a d’ailleurs valu quelques ennuis…

Oui, je me suis fait taper sur les doigts. Il y a eu une procédure disciplinaire et une amende.

Vous ne le referiez pas?

Non. Si cela devait arriver, ce serait sous forme de gag, mais j’aurais alors démissionné avant (il rit). Et puis, au-delà du Conseil de la magistrature, je me suis surtout fait gronder par ma mère!

En termes de crédibilité, cela vous a-t-il joué des tours parfois avec les justiciables que vous avez en face de vous?

Je me suis toujours demandé si un avocat allait me faire une remarque, mais ce n’est jamais arrivé. Une fois, un prévenu que j’avais arrêté est venu me dire qu’il aimait bien mes livres. En général, si cela arrive, je coupe net. Sinon, lors d’une séance de dédicaces, il est arrivé qu’une personne me demande si je me souvenais d’elle. Bon, elle a quand même acheté le livre!

Ecrire, c’était un rêve d’enfant?

Pas du tout! J’avais envie de raconter des histoires, c’est comme cela que tout a commencé. Lorsque j’avais environ huit ans, je faisais de la bande dessinée. Je me souviens que je volais des cahiers à l’école, il y a prescription. Je rentrais chez moi et je traçais des cases, je dessinais, très mal, et je racontais des enquêtes policières. Puis, à l’école secondaire, j’avais un copain qui maîtrisait bien la vidéo, nous avons fait des courts-métrages ensemble. Il filmait, j’écrivais l’histoire. Pour les polars, j’ai attendu d’avoir le bagage suffisant pour en écrire.

«Je me sentirais incapable d’écrire une histoire d’amour»
Nicolas Feuz

Auriez-vous envie d’écrire un jour autre chose?

Pas pour l’instant, non. Je suis attiré par le polar depuis longtemps. Je me sentirais incapable d’écrire une histoire d’amour, ça ne m’inspire pas. Je suis quelqu’un d’assez noir dans ce que j’ai envie de raconter. Donc, les deux amoureux, ils ne vont pas vivre longtemps avec moi (il rit) ou bien cela finira mal. Je suis un peu allergique aux happy ends.

Vous lisez?

Très peu, faute de temps.

Vous écrivez tous les jours?

Non. J’écris en moyenne trois mois par année, souvent durant juillet, août et septembre.

Parce que vous pouvez être torse nu dans votre jardin?

Oui, aussi! Mais, à cette période de l’année, les dédicaces sont moins nombreuses.

Que faites-vous lorsque vous n’êtes ni procureur ni écrivain?

J’aime bien voyager. Je faisais beaucoup de sport avant d’écrire. Et j’aime skier, aussi. Mais pour être sincère, même sur les téléskis, mon cerveau est toujours actif et pense au prochain scénario.

Finalement, qui est Nicolas Feuz sans ses deux casquettes?

Il y a un côté noir dans mes livres mais dans ma vie, je suis quelqu’un de plutôt optimiste et qui aime bien rigoler.


Celui qui a pris de la bouteille

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