Logo

Canton

Drogue du violeur. un fléau difficile à prouver

A Fribourg, on compte peu de cas avérés de personnes droguées à leur insu. Trois témoins se livrent

Ambiance nocturne dans les bars de Fribourg. Photo Lib/Alain Wicht, Fribourg, le 16.02.2008Alain Wicht/La Liberté

Raphaël Kadishi

Raphaël Kadishi

29 mars 2023 à 01:12

Temps de lecture : 1 min

Drogue du violeur » «Je n’ai pas osé déposer plainte, je ne me sentais pas légitime puisqu’il n’y avait aucune preuve.» C’est l’une des problématiques qui entourent la question de la consommation forcée de drogues. Trois personnes affirmant y avoir été exposées ont accepté de témoigner.

Nina*, 23 ans, a souhaité se livrer anonymement. En 2020, elle avait déjà vécu une expérience lors de laquelle de nombreux éléments la poussent à croire qu’elle avait été droguée. Prise en charge dans une ambulance, elle n’avait alors pas subi de prise de sang.

Deux ans plus tard, les fantômes du passé reviennent la hanter. «Avec deux amies, on est allé à Lausanne en boîte de nuit. Comme ma pote devait conduire pour rentrer, on ne voulait pas trop boire mais juste aller s’amuser.»

«Je n’ai pas osé déposer plainte, je ne me sentais pas légitime puisqu’il n’y avait aucune preuve»
Nina*

Après à peine deux verres, la jeune femme ressent une douleur vive au bras. «Je me sentais très mal, on a dû sortir. Et puis, je me suis mise à vomir. Les mêmes symptômes que j’avais eus deux ans auparavant sont revenus: perte de vue, incapacité à parler… Si j’avais été seule, ça aurait pu être dramatique.»

Le lendemain, elle constate une marque sur son bras, celle d’une piqûre. «J’ai immédiatement appelé l’Hôpital fribourgeois (HFR) pour savoir quoi faire, mais on m’a remballée.» Finalement, Nina trouvera une prise en charge adéquate à la permanence médicale. Tous les tests effectués s’avéreront négatifs.

«Je suis surprise du peu de prévention qui est fait sur ce sujet-là à l’école»
Nina*

«La médecin de la permanence m’a conseillé de porter plainte contre la boîte de nuit, ou du moins de la contacter. Mais comme il n’y avait aucune preuve, je ne me sentais pas légitime de le faire.»

Depuis, elle ne consomme presque plus d’alcool et met systématiquement sa main «de sorte à recouvrir le dessus du verre». «Je suis surprise du peu de prévention qui est fait sur ce sujet-là à l’école. Même moi qui ai fait des études en santé, je n’y ai pas été sensibilisée.»

Pas de profil type

Avec les mêmes symptômes, cette enseignante fribourgeoise a vécu un cas similaire. «Je n’avais bu que trois verres au cours de la soirée. A mon âge, on sait gérer sa consommation, on connaît ses limites», souligne cette quinquagénaire. Parsemée de trous, la soirée se finit dans un hôpital romand, où son copain a dû l’amener tant son état était inquiétant.

«J’avais l’impression d’avoir été traitée comme une alcoolique»
Une enseignante fribourgeoise

«Lorsque les médecins venaient me poser des questions, j’étais lucide dans mes réponses, c’est un point qui est d’ailleurs noté dans mon rapport médical», insiste-t-elle. Entrée à l’hôpital aux alentours de trois heures, elle a dû s’en aller deux heures plus tard: «On m’a forcée à partir. J’étais dehors, en blouse, avec deux couvertures et une chaise roulante puisque je ne tenais pas sur les pieds. J’ai recommencé à vomir dans la voiture de mon copain.»

Le lendemain soir, elle rappelle l’hôpital pour demander les résultats de son analyse sanguine. «C’est à ce moment-là que j’ai appris qu’il n’y en avait pas eu.» Or son rapport médical mentionnait une alcoolisation aiguë comme raison de sa prise en charge. «J’avais l’impression d’avoir été traitée comme une alcoolique», lance-t-elle.

Avec l’appui de son médecin de famille, suspectant lui aussi qu’une drogue ait pu être utilisée, elle relance l’hôpital afin de les confronter aux faits. «La médecin cheffe des urgences a reconnu qu’elle aurait dû faire une prise de sang mais que ce n’était pas une démarche usuelle.» Le rapport a donc été changé: «Bien qu’il n’indique toujours pas qu’aucune prise de sang n’a été effectuée, la suspicion de drogue y est au moins mentionnée.»

De l’autre côté du bar

Mais les clients ne sont pas les seuls exposés. Cette autre étudiante qui a choisi de ne pas donner son nom, a vécu une expérience similaire tandis qu’elle commençait un nouveau job de serveuse. Au début de son service, elle a laissé son verre sur le bar.
«J’ai commencé à me sentir mal et comme ça allait de mal en pis, mon chef m’a proposé de rentrer. Je ne me rappelle plus du chemin du retour.»

«On m’a proposé d’analyser mes urines pour un montant exorbitant, à ma charge»
Une étudiante

Usant de ses dernières forces, la Fribourgeoise de 24 ans réussit à marcher jusque chez sa sœur. Elles prennent alors la route pour les urgences et arriveront sur place aux alentours de 23 h. «Le copain de mon autre sœur, étudiant infirmier, nous a accompagnées. Il a clairement demandé un test de drogue.»

Déplacée d’un bout à l’autre de l’hôpital en chaise roulante, elle parvient péniblement à indiquer ses symptômes: maux de ventre, troubles de la vue, faiblesse extrême, maux de tête, état second.

Les urgences lui font alors une prise de sang, peu après son arrivée. Elle devra attendre environ 6 h du matin pour entendre que les seuls tests qui ont été effectués à partir de l’échantillon ont servi à vérifier l’état de son microbiote gastrique. Aucun test de drogue. L’infirmière reviendra encore une heure après lui annoncer qu’il est désormais trop tard pour en détecter d’éventuelles traces. «On m’a proposé d’analyser mes urines pour un montant exorbitant, à ma charge. Je ne peux pas me permettre d’investir autant là-dedans.»

Dans le courant de la journée, elle appelle son chef pour lui raconter les derniers évènements. «Il m’a fait douter de moi-même, m’a dit que ça n’était pas possible que ça arrive dans son établissement et n’a accordé aucune importance à ce que j’avais vécu. J’ai démissionné et n’ai pas porté plainte auprès de la police, je me sentais illégitime. On m’a dit que ça n’allait mener à rien», soupire-t-elle finalement.

Contacté, l’HFR rappelle que les personnes arrivent souvent trop tard aux urgences. «S’il s’agit d’une demande de dépistage, on examine si celui-ci est justifié (vraisemblance et fenêtre temporelle). La fenêtre de dosage dans le sang est de moins de 6 h et moins de 12 h dans les urines. Il faut également signaler que le plus souvent le problème n’est pas le GHB mais l’alcool avec des éthylisations aiguës.» Aucune précision n’a été donnée à propos des prises de sang. L’institution préconise encore de n’appeler le 144 qu’en «cas de coma ou d’urgence vitale», ajoutant finalement que la procédure est la même dans tous les hôpitaux publics.

*Prénom d’emprunt


Trois questions à Martial Pugin

Martial Pugin, porte-parole de la Police cantonale fribourgeoise, répond à nos questions. 

Que peut-on faire si on pense s’être fait droguer?

Tout d’abord, il faut souligner que la police prend cela très au sérieux. Nous encourageons à annoncer les cas de soumission chimique ou au GHB, afin que puisse s’ouvrir une enquête. Mais la prise en charge de la victime et sa mise en sécurité sont primordiales, puisqu’elle n’a bien souvent pas la capacité de s’occuper d’elle-même. Ensuite, il convient d’annoncer le cas à la police dans les plus brefs délais.

Ce contenu provient de notre ancien site web. Il est possible que sa mise en page ne soit pas idéale. En savoir plus

Dans la même rubrique