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Canton

Difficile accès aux urnes

Les personnes sous curatelle de portée générale n’ont, actuellement, pas le droit de vote dans le canton. Une récente étude menée par l’Université de Fribourg s’est penchée sur cette question. Eclairage

Floriane Grognuz, 28 ans, Maxime Moret et Daniel Bourqui (de gauche à droite) sont tous les trois bénéficiaires à FARA à Fribourg. Floriane ne peut pas voter mais Maxime et Daniel en ont le droit.

13 avril 2023 à 21:11

Temps de lecture : 1 min

Droit » «J’aimerais bien voter et apprendre des choses.» Si Floriane, 28 ans, utilise le conditionnel c’est pour une simple raison: elle n’a pas le droit de vote. Résidente à FARA à Fribourg, la jeune femme est sous une curatelle dite de portée générale (CPG). Une mesure qui, dans la pratique, la prive de bulletin de vote.

L’exercice du droit de vote est un parcours semé d’embûches pour de nombreux citoyens présentant une déficience intellectuelle (DI). Menée entre janvier 2021 et juillet 2022 par le Département de pédagogie spécialisée de l’Université de Fribourg auprès de personnes présentant une DI, l’étude «Vote4All» s’est penchée sur l’octroi du droit de vote et son exercice. Une thématique qui a également été récemment abordée dans le cadre de conférences organisées par le Centre de formation continue Fribourg (voir ci-dessous).

Mais que dit la législation? La loi fédérale est claire: une fois majeur, tout citoyen peut, de plein droit, exercer ses droits politiques. Des exclusions sont prévues pour cause de maladie mentale ou de faiblesse d’esprit. «Le droit de vote est assorti d’une capacité de discernement durable», précise Barbara Fontana-Lana, maîtresse d’enseignement et de recherche au Département de pédagogie spécialisée de l’Université de Fribourg.

«Une personne présentant une déficience intellectuelle peut tout à fait être en mesure de comprendre la politique et ses enjeux.»
Barbara Fontana-Lana

La CPG, la mesure de protection la plus lourde prévue par le Code civil, mentionne que la capacité de discernement peut être entravée en raison, notamment, de déficience mentale. «La curatelle de portée générale peut être octroyée pour plusieurs raisons comme, par exemple, une dépendance, un problème psychique ou l’isolement d’une personne qui nécessite un soutien. Mais cela ne signifie pas pour autant qu’il y a une incapacité de discernement et encore moins de pouvoir voter», relève la chercheuse tout en pointant également du doigt le caractère «durable» qui accompagne la capacité de discernement. «Une personne présentant une déficience intellectuelle peut tout à fait être en mesure de comprendre la politique et ses enjeux», estime-t-elle.

L’exemple genevois

Ainsi au niveau fédéral, les personnes ayant une CPG sont privées de vote. En revanche, au niveau cantonal, cela peut varier, les cantons ayant leur propre Constitution. Fribourg applique les mêmes restrictions qu’au niveau fédéral. Et les autres? L’étude s’est penchée sur les pratiques de Neuchâtel, Vaud et Genève. Si les deux premiers cantons suivent la législation fédérale, Genève, en revanche, fait figure d’exception en Suisse après avoir accepté, en novembre 2020, de modifier sa loi pour rendre les droits politiques à toutes les personnes sous curatelle de portée générale. Ces dernières peuvent ainsi participer aux scrutins cantonaux et communaux. Une motion allant dans le même sens a été déposée auprès des Conseils d’Etat neuchâtelois et vaudois.

A Fribourg, le rétablissement des droits politiques pour les personnes sous curatelle de portée générale a fait l’objet d’une motion en 2020 de la part de Xavier Ganioz et Pierre Mauron. Les députés socialistes y mentionnaient alors que cette disposition porte une atteinte discriminatoire au principe de l’universalité du droit de vote et prive certains citoyens de participation à la vie politique.

Et de préciser qu’une telle atteinte est désormais contraire à la Convention des Nations Unies relative aux droits des personnes handicapées. Pour mémoire, la Suisse l’a ratifiée en avril 2014. Par son adhésion, la Suisse s’engage à éliminer les obstacles auxquels sont confrontées les personnes handicapées, à les protéger contre les discriminations et à promouvoir leur inclusion et leur égalité au sein de la société. Elle contient, dès lors, également des droits civils et politiques. Les Etats membres doivent mettre en œuvre ces obligations de manière progressive dans leur législation nationale. «De nombreux pays ont modifié leur pratique en conséquence et ont choisi le droit de vote universel. Certains ont opté pour des tests que doivent passer les candidats mais ils sont controversés car les indicateurs de la capacité politique ne font pas l’unanimité et ne sont pas, dès lors, clairement mesurables», résume encore Barbara Fontana-Lana.

Le Conseil d’Etat dit non

Dans sa proposition au Grand Conseil de rejeter la motion visant à rétablir des droits politiques pour les personnes sous curatelle de portée générale, le Conseil d’Etat met en avant les difficultés d’assurer un système d’accompagnement des personnes concernées tout en garantissant la confidentialité de leur vote. «Un risque de dérapage existe, on ne peut pas le nier, et quand bien même en définitive peu de personnes s’avèrent concernées, cela pourrait représenter un affaiblissement de la crédibilité de notre système démocratique, qui relève de la libre formation de la volonté», note le Conseil d’Etat tout en constatant que «ce sont, en définitive, moins de mille personnes qui seraient concernées, dans le canton par cette motion.»

«Le risque de dérapage pourrait représenter un affaiblissement de la crédibilité de notre système démocratique.»
Le Conseil d’Etat

Deux ans après le rejet de la motion, le dossier n’a pas évolué dans le canton de Fribourg. «A notre connaissance, rien n’est venu depuis clarifier la situation juridique, et donc imposer une remise en question des conclusions tant du Gouvernement que du Parlement fribourgeois», indique Aurélie Haenni, responsable de l’information à la Direction des institutions, de l’agriculture et des forêts.

Peu de demandes

Alors quelles solutions pour les personnes sous CPG qui souhaitent voter? Faire appel à la Justice de paix afin de transformer la curatelle et récupérer ainsi leurs droits politiques. «Les personnes sous CPG peuvent en tout temps s’adresser à la Justice de paix pour demander une adaptation de la mesure de protection, soit en le faisant elles-mêmes soit par l’intermédiaire d’un proche ou d’un curateur, par exemple. Cela étant, nous ne recevons pratiquement aucune demande en vue de récupérer le droit de vote», explique Wanda Suter, juge de paix à Fribourg, qui a également collaboré à l’étude «Vote4All».

Reste qu’une fois le droit de vote obtenu, il faut encore recevoir son matériel. Selon l’étude, il apparaît qu’une personne sur deux présentant une DI reçoit son matériel de vote. Et la moitié encore exercerait ce droit. «Il y a un besoin d’accompagnement et d’accessibilité évident à mettre en place», conclut Barbara Fontana-Lana.


Des cours pour apprendre à voter

Un cours pour apprendre à voter? Le Centre de formation continue Fribourg (CFC) a pour projet de l’inscrire à son prochain programme. L’idée a fleuri dans le prolongement du récent Congrès DUO 2023. Organisé par le CFC en collaboration avec le Département de pédagogie spécialisée de l’Université de Fribourg, la HETs-FR et l’Association Vivre son deuil Suisse, l’événement a été imaginé «par et pour les personnes en situation de handicap». Parmi les sujets qui ont fait l’objet de présentations en duo, celui des droits et de la participation à la vie politique. Le nouveau cours, décliné sur plusieurs séances, sera intitulé «Aujourd’hui on vote». «Les objectifs seront d’une part d’apprendre à voter et d’autre part de comprendre les enjeux des votations. Ce cours se voudra bien sûr neutre au niveau politique. Il sera proposé à tous nos étudiants en situation de handicap, qu’ils soient ou non en possession du droit de vote», indique Jean-François Massy, directeur du CFC.

«Les objectifs seront d’une part d’apprendre à voter et d’autre part de comprendre les enjeux des votations.»
Jean-François Massy

Fondé en 1987, ce centre, reconnu par l’Etat de Fribourg, a pour but d’offrir aux personnes adultes en situation de handicap une formation continue en tenant compte de leurs possibilités d’apprentissage et de leurs intérêts. Une cinquantaine de cours sont ainsi proposés dans tous les districts du canton et dans diverses catégories allant de l’informatique à la musique ou encore le développement personnel, entre autres. Subventionné par la Confédération et le canton, le CFC compte 120 postes à des faibles pourcentages et dénombre environ 360 inscriptions. Ssc

«C’est un devoir»

Floriane, Daniel et Maxime sont bénéficiaires à FARA à Fribourg. Deux d’entre eux ont le droit de vote et l’exercent. Rencontre

Floriane Grognuz, 28 ans, Daniel Bourqui, 67 ans et Maxime Moret, 28 ans, sont tous les trois bénéficiaires de FARA à Fribourg. Floriane est la seule à ne pas voter. Etant sous une curatelle de portée générale, elle ne reçoit donc pas de bulletin de vote. «Mais j’aimerais bien pouvoir, un jour, voter. J’aurais le sentiment de participer aux décisions.» Va-t-elle entreprendre les démarches nécessaires auprès de la Justice de paix? «Je ne sais pas. Je devrais y aller avec mes parents. La dernière fois que c’est arrivé, j’avais 18 ans», explique la jeune femme qui vit en colocation dans un appartement à Fribourg.

Tout comme Maxime et Daniel qui partagent le même logement mais pas la même passion pour la chose politique. Daniel, qui est sous curatelle mais pas de portée générale, vote depuis l’âge de 18 ans et suit l’actualité de manière assidue. «J’ai un penchant pour Guy Parmelin», glisse-t-il en guise de clin d’œil à sa mère qui est, dit-il, Vaudoise. Maxime, quant à lui, vote également après que ce droit lui a été retiré durant quelques années. «J’ai fait la demande auprès de la Justice de paix.» Sous une curatelle de portée générale, il participe désormais à chaque votation. «C’est un devoir lorsqu’on est adulte», estime celui qui bénéficie de soutiens et d’explications lors de chaque votation.

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